Pois : la Chine et la Russie prennent la main

L’hégémonie de l’ogre chinois dans la formation des prix mondiaux du blé, du maïs ou du soja est actée. Saviez-vous qu’il en est de même pour les cotations du pois (entier ou sous forme de protéines concentrées) ?

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La Chine, profitant d’un déséquilibre de marché face au retrait de l’Inde, jusqu’alors importateur majeur de pois, a avancé ses pions et s’est positionnée comme un client incontournable pour le Canada, l’Australie et la France. Crédit photo : hcast - stock.adobe.com

La montée en puissance de la Chine dans le marché international du blé a fait de ce pays le premier importateur de la céréale en 2022/2023 (13,6 Mt selon l’IGC(1)), devant la Turquie (13 Mt), et l’Égypte (12,9 Mt). L’approvisionnement de l’empire du Milieu chez son allié russe est un positionnement stratégique, qui vient de se concrétiser par la signature d’un énorme contrat entre les deux pays, soit 70 Mt de céréales, oléagineux et légumineuses à graines sur les 12 ans à venir (environ 26 Md $). Il est intéressant de constater que les protéagineux font partie intégrante de cet accord, ce qui a été peu souligné dans les marchés. 

Bouleversement quand l’Inde devient autosuffisante

Il convient de faire un léger zoom arrière, afin d’expliquer comment le marché mondial du pois a évolué ces dernières années. Souvenez-vous, en France (premier producteur européen), le prix du protéagineux a longtemps été lié à la part de notre production qui pouvait s’exporter vers l’Inde, à destination de l’alimentation humaine. Mais à partir de 2017, le marché mondial a connu un changement brutal à 180 degrés. Les Indiens ont augmenté leurs droits d’importation, puis interdit momentanément celles-ci afin de soutenir les producteurs nationaux et de stabiliser les prix. À partir de 2022, l’Inde est devenue autosuffisante, obligeant les exportateurs à se tourner vers d’autres débouchés. La Chine, profitant d’un déséquilibre de marché face à ce retrait d’un importateur majeur, a avancé ses pions et s’est positionnée comme un client incontournable pour le Canada, l’Australie et la France. Les importations chinoises de pois ont été multipliées par 3,6 de 2015/2016 à 2020/2021 (3,1 Mt) incitant la Russie et l’Ukraine (autres vendeurs) à demander la levée des barrières sanitaires qui les pénalisaient sur ce débouché. Ces dernières ont été levées fin 2022 pour les Russes, et restent en cours de discussion avec l’Ukraine. 

La Russie progresse à l’export

L’accord sino-russe qui vient d’être signé est aussi de grande importance pour la Russie, où la guerre est loin d’avoir entamé le potentiel de production et d’exportation (non taxée) du pois. La superficie russe consacrée à cette culture a augmenté de 54 % de 2017 à 2021, surtout dans le Caucase et les régions de la Volga. De quoi faire pâlir la Commission européenne qui n’arrive pas à faire stabiliser sa production au-delà des 2 Mt. Les Russes annoncent avoir produit 3,6 Mt en 2022, un chiffre augmenté en raison de l’occupation des territoires ukrainiens de Zaporizhzhya, Donetsk et Kherson. Cela lui permet de passer en tête devant le Canada (3,4 Mt). Contrairement à la production ukrainienne tournée vers l’exportation, le marché local russe se développe aussi bien en alimentation animale qu’humaine. Cependant, le débouché export (Turquie, Bangladesh, Italie et Pakistan) reste déterminant et ne cesse de progresser depuis 2017, plaçant le pays en deuxième position derrière ses concurrents canadiens. La situation n’est pas aussi rose pour l’Ukraine. Au plus fort de son histoire (2017) elle a produit 1 Mt de pois. Mais entre fermeture du marché indien, aléas climatiques et conflit armé, la récolte 2022 n’a atteint que 270 000 tonnes… 

Les efforts de l’UE pour développer les protéa-gineux pourraient être chahutés

Les achats en provenance des pays tiers participent à l’équilibre du marché européen des trois principaux protéagineux, dont les surfaces en 2020, malgré de nombreux plans protéines, ne représentaient que 1,5 M ha, soit 0,9 % de la SAU. En France, le constat est à peine mieux, avec 1,1 % de la SAU. En termes de couverture protéique (importations comprises), pois, féveroles et lupins ne dépassent pas 1 % de nos besoins européens avec 0,7 Mt de protéines. 

Concurrence sur les débouchés à forte valeur ajoutée 

Accélérer la recherche de débouchés à forte valeur ajoutée, comme le marché des ingrédients dans l’alimentation humaine (nutrition sportive, substituts végétaux de la viande, etc.) pour développer et ancrer la production européenne est une ambition louable. Mais attention, aux USA et au Canada, le vent de la colère se lève. Là-bas, les capacités de production de protéines de pois se sont rapidement développées ces dernières années (Puris, Ingredion, ADM, Roquette). Or, les transformateurs font aujourd’hui face à une concurrence qu’ils estiment déloyale de la part de la Chine qui vendrait des protéines de pois 52 % moins cher que les prix de vente nationaux. De quoi mettre en péril la rentabilité des usines nord-américaines, dont certaines, récentes, sont déjà en difficulté face à la baisse de la demande (Beyond meat  notamment). L’ITC(2) parle de dumping chinois et pourrait imposer des droits de douane. 

L’Union européenne ferait bien de se méfier ! Face à des importations compétitives aussi bien de la graine entière que des ingrédients, et des prix mondiaux trustés par le binôme Chine-Russie, ses efforts pour développer les protéagineux pourraient être largement chahutés.

Patricia Le Cadre / www.cereopa.fr

(1) International Grains Council

(2) Commission américaine du commerce international

L'UE, importatrice de pois

Le débouché européen est loin d’être anecdotique pour les origines mer Noire. L’UE est régulièrement importatrice de pois, pour environ 0,5/0,6 Mt. En 2022/2023, les achats ont atteint 0,515 Mt faisant la part belle à la Russie (94 % vs 75 % et 64 % des ventes un et deux ans plus tôt) au détriment de l’Ukraine. 

Côté importateurs, l’Espagne a su profiter des prix compétitifs face à des céréales qui s’envolaient en février 2022. Elle a fait un bond totalisant 37 % des achats européens, suivie par la Lettonie (32 %) et l’Italie (22 %) plus traditionnellement importatrices.


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