Dans la région de Modène, chaque maison possédait dans son grenier sa batterie de vinaigre balsamique, nom donné à une série de fûts de différentes capacités et d’essences de bois. La coutume voulait même qu’une batterie de balsamique servait de dot lors des mariages. Plus la batterie était longue, plus la famille de la mariée était riche… Et la série s’étoffait d’un fût à chaque naissance.
Une production sous les combles
Dans la famille Pagani, tout a commencé en 1974 à partir d’une seule batterie de fûts de chêne, gérée par le père Lauro, pour se développer dans les années suivantes en une production de vinaigre de 250 barriques. Une petite entreprise artisanale comme autrefois… reprise en 2020 par sa fille Aura, rejoint depuis peu par son compagnon Roberto Foschi, ancien garagiste.
Du vinaigre produit uniquement à partir de moût de raisin cuit
« Contrairement au vin qui exige une température constante, le vinaigre a besoin de fortes variations de température pour se bonifier, d’où sa production sous les combles… », explique ce dernier. Avant de poursuivre : « Ici nous produisons du vinaigre traditionnel, à partir uniquement de moût de raisin autochtone cuit entre 75 et 90 °C », provenant des cépages locaux de Lambrusco, Trebbiano… La caramélisation transforme ce raisin blanc en un breuvage sombre qui subit une fermentation alcoolique naturelle, suivie d’une oxydation acétique avant d’être mis à vieillir dans des fûts de chêne, de châtaignier, de genévrier ou d’acacia… Le vinaigre ne captant pas les tanins, les producteurs récupèrent de vieux fûts qui apporteront des caractéristiques sensorielle et gustative différentes à chaque batterie. Selon le bois du fût et celui de l’ensemble de la batterie qui peut être varié, on « construit » et on « affine » l’arôme de cet élixir, qui devient de plus en plus intense.
Un savoir-faire ancestral
Entre deux batteries, c’est l’homme, le ‘vinaigrier’, qui fera toute la différence, résultat du fruit d’une expérience transmise de génération en génération par les paysans. Ce dernier prend la décision de prélever en janvier plus ou moins de quantité de vinaigre mâture du plus petit fût de 10 litres (10 à 15 % du volume) pour garder un savant équilibre entre acidité et sucre. Tâche encore déléguée au père d’Aura. « Si on prélève trop, le vinaigre sera plus acide, si on ne prélève pas assez, il sera trop doux… » Le volume manquant, qui s’ajoute à la fraction qui s’est évaporée durant la saison chaude précédente, est récupéré du tonneau qui lui précède immédiatement, et ainsi de suite, de tonneau en tonneau jusqu’au plus grand. Ce dernier sera re-rempli au printemps, avec du moût de raisin cuit et fermenté de la vendange de l’année précédente. Le niveau de remplissage des tonneaux revêt une grande importance, jamais plus de trois-quarts du volume total, de manière à avoir une surface de vinaigre en contact avec l’air suffisamment grande pour l’oxygénation, un élément fondamental du déroulement de l’acétification.
« Nous vendons un vinaigre vieilli de 7, 10, 15, 25 ou 40 ans : cela ne correspond pas à l’âge du vinaigre, mais bien à celui de la batterie qui recueille du moût sans arrêt depuis cette période indiquée sur les bouteilles », précise Roberto Foschi. « Plus on avance dans le temps, plus le fût est petit et le contact avec le bois est important : le vinaigre devient alors plus crémeux, plus sirupeux », décrit Aura Pagani. Leur plus grande batterie contient 9 fûts et est en fonctionnement depuis 49 ans. Les plus petites sont constituées de 3 fûts, toujours en nombre impair.
De l’artisanat à l’état pur
Dans l’atelier Pagani, rien n’est automatisé. « Nous tenons à garder ce côté artisanal à notre production », à commercer par les étiquettes écrites et découpées à la main, collées une à une sur chaque bouteille. Ils embouteillent quelque 2 000 bouteilles à l’année. De par son goût aigre-doux unique, le vinaigre balsamique s’associe à tous les mets : entrées, viande, fromage, entremets, fruits et glace !