Dans cette petite salle, débattre n’est pas du cinéma !

Chaque année à Châtillon-en-Vendelais, au sud de Fougères, se déroule le festival Ciné-Campagne organisé par le plus petit cinéma associatif d’Ille-et-Vilaine. Son ambition : soutenir le monde agricole et défendre les valeurs de la ruralité à travers des films comme « Le Jardin de la Laiterie » projeté lors de sa 17e édition. Reportage en salle.

18662.hr - Illustration Dans cette petite salle, débattre n’est pas du cinéma !
« Notre objectif est d’apporter modestement notre pierre à l’édifice du LIEN ! » Roland Berhault, éleveur retraité et président de l’association culturelle du Vendelais depuis 1995, vient de passer la main. Cheville ouvrière de l’équipe de bénévoles, le festival Ciné Campagne lui doit beaucoup.

« Bonsoir et bienvenue au Vendelais pour voir ensemble ‘‘Le jardin de la laiterie’’, un documentaire dont l’action se déroule près d’ici, à Fougères. On le regarde et on en discute après avec Marc, son réalisateur ». Debout entre deux rangées de sièges, micro en main, Roland Berhault (lire encadré) présente ce film pour la seconde fois de la journée. L’obscurité se fait. Sur l’écran apparaît la cour vide de la laiterie traversée par des salariés vêtus de blanc qui, en marchant, s’effacent tels des fantômes… Une voix s’invite alors, celle d’Hélène Nazart, dernière directrice de l’entreprise qui se souvient : « Le lendemain de la fermeture, on s’est dit : ‘‘mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ? ‘‘ Alors on a creusé un trou et on a planté un magnolia… ». Le début symbolique d’une nouvelle histoire que Marc Weymuller a mis en images : « Entre les bâtiments désaffectés de la laiterie, j’ai découvert un jardin potager entretenu chaque semaine et depuis quinze ans par d’anciens salariés. Dès lors, mon objectif a été de raconter l’histoire de l’entreprise tout en montrant la vie du jardin au fil des saisons. »

Pas si simple

La lumière revient, la salle applaudit et Roland Berhault ouvre le débat : « Quelqu’un veut réagir, poser une question ? » Un bras se lève, un autre… Dans ce film, tout concourt à regretter le sort de cette laiterie liquidée en 2005 : le témoignage touchant d’Hélène Nazart, la conduite humaniste de l’établissement instaurée par ses parents, jusqu’à ce quartier de Saint-Sulpice qui offrirait un cadre de rêve si ce n’était celui d’une entreprise… Belle bâtisse, fond de vallée, vaste jardin potager et la rivière du Nançon qui coule au pied du château médiéval . « Il y a un truc que je ne comprends pas, interpelle un spectateur. Le vrai coupable ce sont les banques. Elles ont fait disparaître une laiterie qui avait une bonne assise financière ». Le réalisateur lui répond : « Ce n’est pas si simple. De toute façon, la laiterie Nazart n’aurait sans doute pas survécu et pour plusieurs raisons : l’accès difficile pour ses camions de collecte, l’impossibilité de s’agrandir, le durcissement des normes environnementales… On a proposé à M. Nazart d’aller s’installer en périphérie, mais il n’en avait pas envie. Sans doute avait-il déjà en tête la fin inéluctable de l’entreprise ».

Le poids du débat

Aller au-delà de la première impression et montrer que les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît : voilà bien l’intérêt de ce type de rencontre. Concept défendu bec et ongles par l’association culturelle du Vendelais : « Il ne suffit pas de regarder un film à l’état brut et de repartir chez soi, chacun avec sa version, analyse Roland Berhault. Le débat fait la différence surtout qu’en toile de fond, il y a toujours cette volonté de faire échanger un monde non agricole qui accepte de voir ce qui se vit dans les exploitations avec des agriculteurs qui, de leur côté, acceptent d’ouvrir leurs portes » . « C’est beau le contraste entre ce côté mort des bâtiments et la vie intense du jardin », lance à son tour une spectatrice. « J’ai juste essayé de transcrire ce que j’ai ressenti, poursuit le réalisateur, en montrant qu’aujourd’hui tout le monde a sa place dans ce jardin comme tout le monde avait sa place dans l’entreprise. C’est ce qui m’a touché ». Le débat touche à sa fin. Roland Berhault remercie le public de continuer, par sa présence, à soutenir le festival et le réalisateur ; lui, trouve le bon mot pour conclure : « Jean-Luc Godard disait : c’est dans la marge qu’on inscrit les choses importantes. Ciné-campagne fait partie de la marge, et cette marge, nous les cinéastes indépendants, on en a besoin ! » . Applaudissements nourris

Pierre-Yves Jouyaux

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Rôles joués par les banques et l’industrie laitière dans la mise en liquidation de la laiterie Nazart… Au delà de l’émotion et des explications simplistes, un débat apaisé s’engage entre la salle et le réalisateur.

Passion d’un passeur d’images

À 74 ans, Roland Berhault, éleveur laitier à la retraite, vient de céder sa place de président de l’association culturelle du Vendelais, organisatrice du festival. Manifestement, l’homme n’a rien perdu de sa passion : « Nous sommes des passeurs d’images en quête de pépites à partager avec le public. Tous les films que nous programmons sont des coups de cœur . Aujourd’hui, le monde rural est critiqué de toute part. À la sortie de la guerre, on a dit aux paysans de se moderniser pour produire. Aujourd’hui, on leur dit presque qu’ils auraient mieux fait de rester avec leur selle à traire ! Avec un tel discours et toutes les crises qu’ils ont subies, comment s’étonner si les agriculteurs se referment sur eux-mêmes ? Voilà pourquoi l’objectif de Ciné campagne est de faire se rencontrer des mondes qui ne se connaissent pas bien et de créer du lien en ouvrant des portes sur la ruralité et sur sa réalité, tout en proposant des débats constructifs et apaisés. Un vrai travail d’équipe et d’élévation qui tire les gens vers le haut ».


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