« Il y a quelques années, contre les boiteries, j’utilisais régulièrement du formol en bain de pieds. J’ai fini par bannir ce produit… », confie un éleveur breton. Les traitements étaient réalisés après le déjeuner pour laisser les vaches « tranquilles » à l’auge le matin. « Je faisais tourner le troupeau dans la stabulation pour que les animaux passent deux ou trois fois dans le pédiluve pour que les pieds soient bien traités. » Ces jours-là, la traite du soir était très compliquée : « Il y avait l’odeur dans le bâtiment. Mais surtout, le passage des vaches sur les quais semblait ramener des résidus dans l’atmosphère de la salle de traite. À chaque fois, je finissais par être pris de maux de tête… »
Impensable pulvérisation en salle de traite
« Dans les campagnes, nous assistons à une recrudescence du recours au formol dans les stratégies de contrôle de la santé des onglons. Ce produit est véritablement nocif. C’est très inquiétant concernant la santé des éleveurs à long terme », témoignent deux vétérinaires bretons. « Le prix est certainement en jeu : le formol coûte trois fois moins cher que d’autres produits du commerce recommandés pour les bains de pieds. Pour des pédiluves hebdomadaires de grands troupeaux, des exploitations sont même livrées en cuve de 1 000 L… » Pour son confrère, il y a aussi l’intérêt d’une solution efficace aux yeux des éleveurs : « Caustique, le formol a tendance à assécher, visuellement, les lésions actives de dermatite digitale. » Encore plus préoccupant pour les deux observateurs : l’usage par certains du formol en pulvérisation directe sur les pieds des animaux à la traite. « Cela revient à mettre en suspension, à hauteur de visage, un produit déjà très volatile qu’il ne faut surtout pas respirer ! En voulant soigner les boiteries de ses vaches, l’opérateur soigne son futur cancer », lâche avec amertume le praticien. « D’autres solutions à base de sulfate de zinc ou de peroxyde par exemple offrent de bons résultats. Sans oublier que l’hygiène préalable de l’environnement et des pieds avant traitement joue un rôle considérable dans la réussite des soins. »
Toxique par contact cutané et par inhalation
« Ce retour du formol en élevage bovin est catastrophique. Il soulève des questions à la fois du point de vue de la santé humaine et de la réglementation du travail », démarre Marie Rannou, conseillère au service Prévention des risques professionnels à la MSA d’Armorique. Ajouté à la liste des procédés cancérogènes dans le Code du travail dès 2006, le caractère cancérogène du formol a été confirmé par l’Europe en 2014. Cette substance s’avère toxique par contact cutané et par inhalation. « Irritante, elle peut provoquer des brûlures de la peau, de graves lésions des yeux et des voies respiratoires. Elle peut avoir différents effets néfastes jusqu’à provoquer des manifestations allergiques cutanée ou respiratoire ou déclencher de l’asthme… », reprend Nathalie Bignon, médecin du travail. « Or des personnes sont parfois obligées de changer de métier à cause du déclenchement d’allergies ! » Pire, le formol joue un rôle dans l’incidence de maladies graves comme « le cancer du naso-pharynx et son rôle dans l’apparition de leucémies est suspecté. » Dans l’Union européenne, ces informations – comme le logo très explicite de la tête de mort ou la mention « peut provoquer le cancer » – sont obligatoires sur les emballages du produit.
« Plus dangereux que les pesticides utilisés en Bretagne »
Concernant la réglementation, le formol n’est pas interdit pour certains usages professionnels pour lesquels il n’a pas pu être remplacé. « Il y a une tolérance pour l’embaumement chez les pompes funèbres ou la conservation de tissus en milieu hospitalier. Pour la désinfection des bassins en pisciculture également même si des recherches sont menées sur des solutions pour s’en passer », explique Marie Rannou. Mais pour la spécialiste qui travaille sur le dossier des risques chimiques en agriculture, le message est clair : « Le formol est dans la short liste des pires substances au même titre que les fumées d’échappement diesel par exemple. Cancérogène de catégorie 1, il est encore plus mal classé – plus dangereux en termes de seuils – que tous les pesticides couramment utilisés en Bretagne ! » Et pas question pour elle de parler d’équipement de protection individuel (EPI) ou de recommandation d’utilisation : « Le formol est tout simplement à proscrire en élevage. »
La responsabilité des employeurs
Pour résumer, la loi dit « le formol, c’est non », insistent Marie Rannou et Dr Nathalie Bignon. « Chacun engage sa responsabilité en l’employant. Mais selon le Code du travail, par définition, c’est une substance interdite à manipuler pour les femmes enceintes, les personnes mineures, les travailleurs temporaires ou en CDD. Y être exposé, c’est déjà trop. Et cela concerne même les gens seulement de passage sur l’exploitation comme les conseillers, inséminateurs, vétérinaires… qui doivent intervenir sans jamais y être confrontés. » La question se pose plus particulièrement pour les employeurs recevant salarié, apprenti ou stagiaire. « D’emblée, la présence de formol doit être mentionnée dans le Document unique ou DUERP. La réglementation impose alors une dosimétrie, une mesure d’exposition à l’aide d’un capteur, une fois par an. » Selon la réglementation, l’employeur doit aussi prouver qu’il n’a « pas trouvé mieux » pour bannir l’usage du formol. « Sans cela, en cas de problème, juridiquement, il se retrouve dans le cadre d’une faute inexcusable. »