« Nous sommes passés de 1,7 million d’agriculteurs dont 38 % de femmes en 1982 à 400 000 dont 25 % de femmes en 2020. 35,7 % d’entre elles sont salariées en agriculture », chiffre Christophe Perrot, de l’Idele. « Environ 25 % de fils d’agriculteurs deviennent agriculteurs, un pourcentage relativement stable depuis 30 ans, alors que pour les filles d’agriculteurs, la chute a été très importante. » Les femmes sont présentes dans tous les types d’élevage mais sont plus représentées en caprin, ovin et volaille qu’en bovin, surtout viande.
L’un des objectifs d’un projet mené par l’Idele en 2023 était de mieux comprendre les spécificités de l’accès et de l’exercice des métiers de l’élevage au féminin. « Les filières concernées étaient les ruminants, porcs et volailles », a précisé James Hogge, de l’Idele, lors d’un webinaire du GIS Avenir Élevages.
Des rôles sociaux prédéfinis
17 entretiens ont été réalisés auprès d’éleveuses d’âges, productions, fonctionnement (seule, collectifs…) variés, issues ou non du milieu, suivis d’une enquête quantitative s’appuyant sur 40 questions. « Dans ce type de projet, l’assignation des femmes et des hommes à des rôles sociaux prédéfinis et leurs conséquences sont notamment analysés. Nous nous intéressons aussi à la source des inégalités entre sexes pour les modifier. »
Dans l’installation tout d’abord, « l’un des freins majeurs est la pratique culturelle de la transmission de ferme aux garçons. » Les conseillers du para-agricole peuvent aussi « décourager les femmes à s’installer. » Concernant la répartition genrée des tâches, « elle est systématique dans le travail en équipe, en bio également : les hommes privilégient le travail d’extérieur, visible. Les tâches administratives sont l’affaire des femmes et vues comme une corvée. Elles sont disponibles en appui à leur mari et s’occupent des enfants. La ‘complémentarité des sexes’ revient, mettant en avant les atouts de chacun. Cela justifie sa place… »
Davantage de femmes dans le renouvellement en ovin et caprin
Dans l’exercice du métier, des difficultés avec l’équipement agricole, non adapté aux femmes, ou les charges lourdes sont mentionnées. « Tout est dimensionné pour des hommes », précise une des enquêtées. Trois solutions sont observées. « Soit elles forcent et se font potentiellement mal, soit elles demandent de l’aide, ce qui crée une dépendance ou une moindre reconnaissance, ou alors elles innovent en transformant l’outil, en changeant de pratique ou de génétique. Alors, souvent, l’ensemble du collectif, voire les animaux, en bénéficient », poursuit James Hogge. Une autre difficulté évoquée concerne la peur, les risques liés au contact avec les animaux, notamment en bovin allaitant. Une des enquêtées est passée en bovin lait après avoir vu un taureau percuter gravement deux personnes. Certaines éleveuses évoquent avoir des pratiques d’élevage plus douces (dressage, soins…), notamment pour réduire la contrainte physique.
Enjeu sur le statut de cheffe d’exploitation
Autre point, « le manque de reconnaissance dans les équipes conjugales ou mixtes est cité par les femmes. » Souvent, les femmes ne se sentent pas entendues. « L’homme reste vu comme le responsable » sauf quand la femme « s’est installée avant ou est seule sur l’exploitation. » Globalement, le statut de cheffe d’exploitation « amène respect et considération par rapport au salariat. » Par ailleurs, « les enquêtées ne se revendiquent pas féministes et ont aussi du mal à affirmer leur féminité dans leur aspect physique. »
S’agissant de l’enquête quantitative, 314 éleveurs ont répondu dont 52 % d’hommes. 87 % d’entre eux se sont installés sur la ferme parentale contre 52 % des femmes. Elles s’installent à 33 % sur la ferme de leur conjoint. « On retrouve ici aussi la répartition genrée des tâches : les femmes sont plus centrées sur les animaux et l’administratif et les hommes sur les champs et le matériel. Par ailleurs, l’inégale répartition du travail domestique est un frein majeur à la participation des femmes dans les instances agricoles. »
Les secteurs d’élevage plus accidentogènes
Selon les chiffres de la MSA, en moyenne sur la période 2019 – 2022, 27 % des non-salariés agricoles sont des femmes. 86 % d’entre elles ont le statut de cheffe d’exploitation, les autres sont conjointes d’exploitant agricole. « Plus de la moitié travaille dans le domaine de l’élevage, essentiellement en bovin lait, polyculture – élevage et bovin viande », chiffre Magalie Cayon, de la MSA. Globalement, 72 % des accidents du travail avec arrêt pour ces femmes non-salariés agricoles se produisent dans les secteurs d’élevage, plus accidentogènes donc que les autres secteurs. « 1/3 des accidents du travail sont liés à une perte d’équilibre de la victime et ¼ au contact avec un animal. » Il y a par contre très peu d’accidents mortels pour ces femmes. Sur les maladies professionnelles, elles représentent 45 % des victimes (contre 26 % tous secteurs confondus). 85 % sont des TMS (troubles musculo–squelettiques). « Elles sont surreprésentées sur ce risque du fait des gestes répétitifs de la traite qu’elles effectuent souvent. »