En début d’année, nous expliquions que les fondamentaux du marché du tourteau de soja étaient baissiers sur le moyen terme, mais que le dossier argentin serait la clé de l’évolution des prix à partir d’avril. Les 6 de mai[1] 2024 valaient alors moins de 410 €/t, soit 65 €/t de moins que la première échéance disponible. Nous alertions sur le fait que si le marché argentin restait grippé, cet écart ne tiendrait pas.
Malgré l’arrivée d’une grosse récolte, les prix n’ont pas réellement faibli
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
La cotation sur le disponible[2] est passée de 500 €/t début janvier à 420 €/t début avril pour rebondir jusqu’à 470 €/t début mai. Pendant ce temps, les 6 de mai ne sont jamais repassés sous les 400 €/t et valent désormais 445 €/t. Malgré l’arrivée d’une grosse récolte en Amérique du Sud, les prix n’ont pas réellement faibli sur cette échéance. Une situation qui peut paraître paradoxale alors même que, malgré les inondations dans le Rio Grande do Sul au Brésil, l’offre globale sud-américaine progresse encore de 19 Mt d’une année sur l’autre et que les stocks aux USA grossissent… Ajoutons à cela que les perspectives sur la campagne 24/25 font état d’une hausse des récoltes mondiales de 23 Mt supplémentaires…
La tension sur les prix du tourteau de soja va-t-elle durer ?
Côté offre, la production de graines est au rendez-vous, malgré les craintes sur le Brésil. L’Argentine a doublé sa production et les USA sèment à tout va, malgré des stocks de report conséquents. En termes de trituration, Brésil et USA font de très bons scores grâce à la demande en biodiesel. Mais l’Argentine reste un pourvoyeur incontournable de tourteaux au niveau mondial et là, les points de tension subsistent. Nombreuses sont les déréglementations voulues par l’ultra libéral président Javier Milei, afin de redonner de la fluidité au marché. Mais force est de constater qu’il faudra du temps pour les appliquer. Car le pays manque cruellement de devises et ne peut pas d’un coup, faire disparaître la manne représentée par les taxes à l’exportation comme à l’importation. L’inflation quant à elle, ne s’est pas évanouie par un coup de baguette électorale magique, et caracole à 290 % en avril contre 160 % en novembre dernier… Autant dire que la liquidité du marché des graines de soja argentines n’est pas acquise. D’autant que l’administration Milei a fermé en mars l’Institut de l’agriculture familiale, paysanne et indigène alors même que les petits producteurs représentent encore 60 % de la consommation alimentaire du pays. Ces derniers ne vont pas lâcher leurs graines pour le bon plaisir des triturateurs.
23 % des emplois et 23 % du PIB
En Argentine, le secteur agricole est la locomotive de l’économie avec 23 % des emplois (induits compris) et 23 % du PIB. Début mai, les employés des usines de trituration ont déclenché une grève pour protester contre des hausses de taxes sur les salaires.
Si le mouvement s’est arrêté rapidement, il témoigne de la tension sociale qui règne dans le pays.
Des ventes au compte-goutte
Rien n’a donc véritablement changé depuis les élections. Malgré une très bonne récolte, les producteurs vendent au compte-goutte et les usines sont alimentées par les importations de graines en provenance du Paraguay. Sur janvier/avril 2024, le pays a vendu 7,5 Mt de tourteaux contre 5,4 Mt en 2023, en mobilisant très peu de ses propres graines dans les usines. Et même si le pays vend de plus en plus de graines à la Chine, il reste importateur net de graines, un comble !
Le marché sur-réagit aux nouvelles climatiques
Que va-t-il advenir des 36 Mt de graines non encore vendues par les producteurs, une fois que la source paraguayenne se sera tarie ? Actuellement, les primes payées au départ des ports argentins profitent des inquiétudes sur la finalisation de la récolte brésilienne. Bien que le bilan mondial puisse supporter une baisse en quantité et qualité des graines du Rio Grande do Sul, il est clair que le marché surréagit aux mauvaises nouvelles climatiques qui touchent le soja brésilien. Mais le contexte météo mondial est aussi source d’inquiétudes pour les céréales et le colza. Les fonds, particulièrement exposés, ont racheté début mai de nombreux contrats, entretenant la tension sur les prix agricoles mondiaux.
Nous ne manquerons pas d’oléagineux sur la fin de cette campagne 2023/2024 et probablement pas sur la prochaine. La rétention argentine pourrait être un pari risqué. Quoi qu’il en soit, il est fort probable que ce sera l’évolution de la demande en huile (alimentaire et énergie) qui donnera la tendance des prochains mois. Les tensions géopolitiques restent un élément fondamental de la tendance que prendra le secteur énergétique et donc par ricochet celui des huiles. Si les prix des huiles progressent, ceux des tourteaux reculeront et inversement.
Attaques de ravageurs
Des nuées de cicadelles ravagent les cultures de maïs : le soja représente une assurance à ne pas négliger. Cette pression des ravageurs pourrait d’ailleurs bien favoriser les semis d’oléagineux plutôt que ceux de la céréale à l’automne prochain.
Une demande dynamique
La demande sur le marché physique reste bonne. La Chine a importé 47,4 Mt de graines de soja d’octobre à mars, soit 2,3 Mt de plus que l’année passée. La demande en tourteaux a aussi été très dynamique sur le premier trimestre, certains pays du Moyen Orient et d’Extrême Orient semblant profiter des prix bas pour s’approvisionner. Mais quelle part de ces achats correspond à du stockage et limitera à terme l’activité commerciale ?
[1] Livraison mai/juin/juillet/août/sept/oct
[2] Première échéance cotée à Montoir
Patricia Le Cadre / www.cereopa.fr