Depuis l’apparition de la robotisation dans la science-fiction du début du XXe siècle, deux imaginaires s’affrontent entre crainte et envie : « Celui de l’espoir de la libération du travail et celle de la peur du grand remplacement de l’homme par les robots », explicite Théo Martin, de l’Inrae de Montpellier, intervenant lors du colloque du RMT Batice, organisé à Rennes, le 14 février. La réalité prend le dessus dans les années 60 aux États-Unis puis une à deux décennies plus tard en France tout d’abord dans l’industrie, au sein d’un milieu structuré. « Le secteur agricole touché par de nombreux aléas, où l’appréhension de l’espace est plus compliquée par des machines, et où la substitution du capital avec des organisations familiales ne se pose pas de la même manière que dans les autres secteurs, ne sera concerné par ces évolutions que vers la fin des années 80. »
C’est dans le secteur laitier que la robotisation s’est le plus développée en France. Si les premiers robots de traite arrivent dans les exploitations au cours des années 1990, ils représentent aujourd’hui près d’une nouvelle installation de traite sur deux. Ils ont été suivis par la robotisation de la distribution des fourrages et concentrés.
Le robot redessine les frontières de l’activité de l’éleveur
D’une astreinte bi-quotidienne à un flux continu
Si les gestes de la traite disparaissent, le travail se réorganise autour d’une activité de surveillance et d’intervention nécessaire au maintien d’une traite continue. « Le passage de la traite dite conventionnelle à la traite robotisée transforme la traite en un processus de flux continu dont l’idéal trouve racine dans le principe de fluidité industrielle », explique celui qui a consacré une thèse de 2019 à 2023 sur la division du travail qui se met en place avec la traite robotisée. « Et sur toutes les études recensées, souvent avec un prisme technique ou économique, et peu de social, il n’y a pas de preuve évidente d’une baisse du temps de travail avec la robotisation de traite. C’est même peut-être l’inverse… Pour les robots d’alimentation, c’est différent, en diminuant de 30 à 50 % l’astreinte », note-t-il. Mais le ‘Digital labour’, ou suivi du fonctionnement de la machine à distance, n’est jamais pris en compte dans ces approches. Et à l’inverse de l’usine, où on peut arrêter la chaîne de production, ce n’est pas possible en travaillant avec du vivant. Néanmoins, la nouvelle organisation du travail qui accompagne la traite robotisée révèle l’aspiration des éleveurs à intégrer des rythmes sociaux dont ils étaient jusqu’alors exclus. Elle facilite aussi l’intégration du travail salarial et son contrôle. « Par contre, pour l’éleveur, avec la fin du marquage temporel du début et de la fin de la journée par la traite, l’amplitude horaire des journées de travail a tendance à s’allonger, avec une plus grande porosité entre travail et vie privée ».
La robotisation élimine des emplois, mais pas le travail
« Loin d’un imaginaire de substitution du travail humain, le robot de traite déplace le travail et redessine les frontières de l’activité de l’éleveur » : accroché à son Smartphone ou scotché à son ordinateur, l’éleveur suit le bon fonctionnement du robot et de nouveaux indicateurs, comme preuves d’un travail efficace, bien loin des mamelles des vaches. Et « avec une charge mentale qui peut devenir importante si la maîtrise du fonctionnement de l’outil n’est pas acquise » : d’éleveur ou animalier, on lui demande dorénavant aussi des compétences en électronique, pneumatique…
« L’idéal de production agricole sans homme n’existe pas »
Alors, demain, verra-t-on poindre une agriculture sans agriculteurs ? « Non, rassure le chercheur. L’idéal de production agricole sans homme n’existe pas, l’humain réapparaît toujours quelque part… Et on aura toujours besoin d’éleveurs pour soigner ses animaux ou entretenir son écosystème à la différence des autres secteurs productifs ». Si le rôle central de l’agriculteur ne semble pas remis en cause, « celui des techniciens », peut quant à lui être chahuté.