Ils apprennent à élever du poisson dans un verre d’eau

Agro-écologie À Guérande, au lycée agricole Olivier Guichard, on enseigne l’aquaculture depuis 1972. Directement confrontée aux conséquences du dérèglement climatique, la filière tente de s’adapter aux défis de la transition agro-écologique en initiant les futurs aquaculteurs aux principes de l’eau re-circulée et de l’aquaponie.

Transfert d’alevins, par 2 lycéens, vers une pisciculture. - Illustration Ils apprennent à élever du poisson dans un verre d’eau
Des élèves de Bac pro procèdent au transfert d’alevins vers une pisciculture partenaire du Lycée. Ils viennent de conduire de A à Z l’élevage de 26 000 truites fario dans une des salles équipées de bassins en eau re-circulée.

« Élève, on ne m’a jamais parlé d’économiser l’eau », se souvient Pierre Garsi, 54 ans, ancien diplômé du lycée Olivier Guichard, aujourd’hui responsable de son atelier pisciculture. J’ai connu une époque où c’était à celui qui aurait le plus de poissons dans ses bassins… Depuis, la mise en œuvre de la transition agro-écologique est devenue une nécessité pour la filière : gestion de l’eau, bien-être animal, traçabilité, limitation de l’impact environnemental sont désormais au cœur de notre pédagogie ».

Quand en plein hiver des rivières se retrouvent à sec dans le Roussillon et, qu’au même moment, des tonnes de truites sont emportées par les crues dans la région Nord, il y a effectivement de quoi s’interroger sur la pérennité d’un modèle piscicole créé sur le principe de dérivation de rivière dans les années 60. Plusieurs centaines de sites en France vont devoir tant bien que mal s’adapter aux conséquences du changement climatique.

« Nos lycées constituent de vrais pôles d’expérimentation au service des professionnels »

Eau re-circulée

Principal levier pour gérer la ressource : les systèmes en eau re-circulée. Certains éleveurs s’en inspirent déjà : « Quand il y a moins d’eau à traverser les bassins, on en pompe une partie, on la filtre et la ré-oxygène, puis on la remonte en tête de bassin. Mais pour atteindre 90 % d’eau recyclée, il faut travailler en circuit quasiment fermé avec des bassins hors-sol équipés de systèmes filtrants. Dans l’absolu, cette technique permettrait d’élever du poisson d’eau de mer à Clermont-Ferrand. En contrepartie, filtrer et faire tourner des pompes consomme de l’énergie… ».

De là à faire appel au renouvelable pour contourner l’obstacle… C’est justement ce que prévoit le projet Agriloops à Bréal-sous-Montfort qui produira son énergie à l’aide d’une chaudière biomasse et de panneaux photovoltaïques posés sur des serres d’où, à terme, sortiront 20 t de gambas et 70 t de légumes à l’année… Application concrète du concept associant production animale et végétale appelée aquaponie (lire encadré).

Pierre Garsi et ses élèves travaillant sur un dispositif expérimental d’aquaponie
Pierre Garsi et ses élèves travaillant sur un dispositif expérimental d’aquaponie : l’eau du bassin abritant les poissons rouges (premier plan) alimente les plantations (en arrière-plan) avant d’y revenir purifiée.

Paradoxe français

Mais en France, en dépit des difficultés à gérer les ressources sauvages, de tels projets restent malgré tout exceptionnels. Un paradoxe selon Pierre Garsi dans un pays à la pointe de la recherche en aquaculture : « Au lieu de ça, on continue d’importer du poisson d’élevage de Turquie ou d’ailleurs. Pourtant, c’est un métier de passion dans un secteur en pleine croissance au niveau mondial. De plus, nos lycées constituent de vrais pôles d’expérimentation au service des professionnels. Nous testons par exemple la possibilité d’élever des crevettes d’eau douce en étangs piscicoles durant l’été, période où justement ces sites d’élevage sont vides… ».

Et Pierre Garsi de conclure : « L’avenir appartient aux méthodes agro-écologiques à l’image de ce qui se fait au Canada où on associe déjà différentes espèces animales et végétales. On parle d’aquaculture multi-trophique intégrée (AMTI). Cela peut consister à élever du saumon en pleine mer à proximité de moules et de macro-algues. L’ensemble crée un écosystème où chaque maillon bénéficie des rejets de l’autre et les transforme ».

Pierre-Yves Jouyaux

Le gagnant-gagnant de l’aquaponie !

Responsable de l’atelier pisciculture du Lycée Olivier Guichard, Pierre Garsi y est également en charge de l’aquaponie et de la valorisation en circuit court : « L’aquaponie n’est, ni plus ni moins, qu’un système aquacole re-circulé connecté à un compartiment végétal qui va assurer une part de la filtration. Au lieu de renvoyer entre 10 et 20 % du volume d’eau chargé d’effluents (azote et phosphore) dans le milieu naturel, vous le renvoyez vers une unité de production végétale qui pompe ces excès de nutriments. L’eau retourne purifiée vers les bassins d’élevage. On peut ainsi la recycler jusqu’à 98 % ! Le végétal soutient la production piscicole ou inversement. Cela va du jardinier qui fait pousser ses tomates à l’aide de quelques poissons rouges jusqu’à de gros élevages de haute technicité optimisant productivité et rentabilité. Le point fort du concept étant qu’avec la même eau et le même aliment, on peut produire des poissons et plantes commercialisables en impactant le milieu naturel a minima ».


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