Stocks : la grande inconnue

L’information a toujours été le nerf de la guerre. L’opacité qui entoure de plus en plus le niveau des stocks, par manque de moyens (enquêtes coûteuses, multiplicité des acteurs) ou par volonté délibérée (statistiques chinoises) pose problème.

Moissonneuse dans un champ - Illustration Stocks : la grande inconnue
Quels que soient l'année climatique et les rendements collectés, l'analyse s'établit en fonction des stocks encore disponibles en fin de campagne 2023/2024.

Lorsque l’on cherche à analyser les marchés, il faut d’abord bien comprendre où se situe l’offre. Celle-ci est la somme de la production (collectée et/ou autoconsommée) et des stocks de report en début de campagne. Ces derniers sont détenus soit par les opérateurs économiques (OS[1], industriels utilisateurs), soit par les producteurs dans l’exploitation agricole. Dans de nombreux pays, le stockage à la ferme s’est développé, permettant aux agriculteurs de mieux gérer leur mise en marché et d’éviter la pression de récolte et la baisse des prix qui l’accompagne. C’est le cas pour le blé en Russie, aux USA, dans l’UE. Idem pour le soja notamment en Argentine, où la graine permet d’arbitrer la très forte inflation que connaît le pays[2]. Si la différence entre collecte et production nous donne une idée de ce qui reste en ferme, il est plus difficile de connaître la part autoconsommée et celle qui n’a pas encore été vendue… et de savoir quelle place est disponible pour accueillir la nouvelle récolte.

Les importateurs passent aux achats pour assurer leurs arrières

Importance des contrats réalisés en juin

Ainsi, une baisse de la production française de blé de 5 Mt cet été, si elle se concrétise, devra se réfléchir en fonction des stocks encore disponibles en fin de campagne 2023/2024. Pour l’instant, ce report est important pour les stocks détenus chez les OS (4 Mt vs 2,7 Mt sur la moyenne 10 ans), la demande n’ayant pas progressé autant que l’offre. Le ratio stocks/consommation culmine à 13 %, ce qui est un plus haut en 8 ans. Les contrats réalisés en juin pourraient modifier en partie la donne et restent une information importante. Nous devons appliquer le même raisonnement pour la Russie. Même si la production baisse de 10 Mt, le stock de report est loin d’être à sec à 11,4 Mt (vs 9,2 Mt en moyenne 10 ans et 8 Mt attendus fin 2024/2025), ce qui n’est pas le cas de l’Ukraine (1,1 Mt vs 3 Mt en moyenne). Mais ces stocks restent une estimation, avec le risque de doubles comptages entre Russie et Ukraine ou encore Russie et Kazakhstan (les frontières terrestres sont poreuses). Les choses se compliqueront encore plus, à terme, avec le développement des flux terrestres (et non payés en dollars) entre la Russie et la Chine.

Difficile d’estimer l’état des réserves des pays importateurs

L’autre face du marché concerne la demande. Le choix pour les pays déficitaires est soit d’importer, soit de taper dans leurs stocks (en cas de prix élevés, de difficultés logistiques, etc.). Malheureusement, le suivi de ces derniers dans de nombreux pays est compliqué et quelquefois très limité. Or, bien évaluer les réserves des importateurs est aussi stratégique pour les vendeurs. Le cas le plus connu concerne la Chine (voir encadré). Mais tout ne se passe pas qu’en Chine. Si les prix du blé ont explosé avec le conflit russo-ukrainien, c’est aussi et surtout parce que les stocks des autres pays importateurs étaient tombés très bas à la sortie du Covid. Comme le montrent les rapports de l’USDA (consultables par tous), le ratio stocks/conso en blé des principaux importateurs est passé de 64 % en 2019/2020 à 53 % en 2021/2022 et seulement 52 % attendu fin 2024/2025 en tablant sur une toute petite hausse des importations…

Il faut donc aller fouiller dans les bilans pour analyser une nouvelle et savoir si le marché surréagit. L’interdiction d’importer du blé de la Turquie, annoncée récemment, doit ainsi être mise en perspective des stocks très importants dont disposera le pays au moment même de cette fermeture du marché. Mais l’effet d’annonce semble fonctionner et fait reculer les cotations. Ce reflux actuel des prix est une aubaine que ne devraient pas rater certains pays pour se positionner aux achats. Les importateurs, qui achètent tous à crédit, semblent avoir compris que la baisse des taux américains longtemps promise par la FED ne viendra pas ou en tout cas pas à la hauteur de leurs attentes. Ils passent aux achats en cette fin de campagne pour assurer leurs arrières.

Patricia Le Cadre / www.cereopa.fr

1 Organismes stockeurs privés et publics. Notons que les OS peuvent avoir collecté de la marchandise gardée en dépôt pour le compte de l’agriculteur et qui ne peut pas être mise sur le marché tant qu’un prix n’a pas été défini entre les contractants.

2 Des ventes de tourteaux de soja argentins en trompe-l’œil | Journal Paysan Breton (paysan-breton.fr)

3 Riz : la bombe à retardement | Journal Paysan Breton (paysan-breton.fr)

+13 % des importations chinoises en 7 mois

En 7 mois (d’octobre 2023 à avril 2024), la Chine a importé 114 Mt de matières premières agricoles (céréales, oléoprotéagineux, huiles, tourteaux). C’est une progression de 13 % par rapport à la même période 22/23. Nous pouvons donc imaginer que les flux pourraient atteindre pas loin de 200 Mt sur 12 mois… Malgré tout, les stocks chinois n’augmentent pas et le gouvernement fait de leur reconstitution une priorité nationale. Dire que nous ne pouvions pas l’anticiper, comme cela est indiqué dans le dernier rapport Cyclope, est faux. Nous alertons depuis longtemps sur la progression rapide et exponentielle des achats chinois, ainsi que sur la manipulation des chiffres des stocks locaux.

Consommation mondiale de blé sous-évaluée

Attention, la consommation mondiale de blé prévue pour 2024/2025 semble largement sous-évaluée, alors même que celle de riz[3] est attendue stable (260 Mt) après une baisse de 4 Mt (une première !) en 23/24. L’USDA a d’ailleurs la fâcheuse manie de sous-estimer régulièrement la demande, révisant ses chiffres à la hausse une fois la saison terminée.


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