Les devises en embuscade

Les prix agricoles sont autant le reflet du marché de la dette et donc des taux de change, que de la météo.

a line graph displaying a sudden decline in stock values with a wheat line. - Illustration Les devises en embuscade
A line graph displaying a sudden decline in stock values with a wheat line.

Savez-vous quel marché financier brasse le plus d’argent ? La majeure partie d’entre nous répondrait celui des actions, parce que le marché boursier est le seul sur lequel on nous informe chaque jour et qu’il est celui qui est le plus sollicité par les investisseurs particuliers. Le CAC 40 ou le S&P 500 (son homologue américain) ne cumulent pourtant qu’un nombre limité de transactions. Plus profond est celui des matières premières (énergies, métaux, produits agricoles). Plus grand encore est le marché des devises (le Forex). Mais ce dernier n’est rien devant le marché obligataire (le marché des taux), roi absolu du monde de la finance. Et c’est logique, car le monde entier vit à crédit et doit chaque jour emprunter. Que ce soit les pays, les banques, les entreprises ou les particuliers, chacun finance sa dette comme il peut. Les grands manitous, ceux qui fixent le cap via des taux directeurs, sont les banques centrales. C’est de là que toute la lecture des marchés agricoles doit être faite. Car il faut comprendre que ce sont les différentiels de taux d’intérêt qui font les taux de change. Et que la compétitivité des exportateurs et la rentabilité des producteurs ainsi que leurs comportements respectifs sont intimement liés à la force ou la faiblesse de leurs devises locales.

La baisse des taux d’intérêt se fait attendre

Pour comprendre ce que nous réserve 2024/2025, il nous faut donc faire un effort de compréhension sur le contexte économique et monétaire qui nous attend.
Après être tombés à près de 0 % entre 2015 et 2022, les taux directeurs européens ont connu une remontée en flèche, atteignant leur plus haut niveau depuis 23 ans. Ils ont été rattrapés et dépassés par ceux de la FED, qui caracolent autour des 5/5,25 % contre 3,75/4,5 % de ce côté-ci de l’Atlantique. Le pilotage de ces taux est très sensible et évolue en fonction de la dynamique de l’inflation. Malheureusement, la baisse des taux d’intérêt tant attendue par le marché se fait attendre comme l’Arlésienne et plombe l’économie réelle depuis de nombreux mois. La BCE a fait un premier geste en juin dernier (-0,25 point), entraînant un léger repositionnement de l’euro face au dollar. La FED a annoncé qu’elle prendrait son temps avant de baisser les siens. Pour autant, les niveaux d’emprunt de part et d’autre de l’Atlantique restent dans un mouchoir de poche, ce qui explique la faible volatilité entre les deux monnaies. Si la BCE continue son assouplissement sans que la FED ne le fasse, alors, nous pourrons assister à une baisse de l’euro face au dollar en fin d’année (ou plutôt une hausse du dollar face à l’euro !). Dans ce cas, le prix du blé sur le marché de Chicago pourrait baisser à condition qu’aucun autre élément majeur ne contrecarre ce phénomène purement mécanique. Rien ne dit cependant que les prochaines baisses de taux de la BCE espérées à l’automne seront réalisées…

Une parité euro/dollar en dessous de sa moyenne 10 ans

En 2023/2024, les vendeurs de blé français ont rencontré deux problèmes : une baisse d’activité de l’amidonnerie en lien avec l’économie mondiale (inflation) et une forte concurrence du blé ukrainien notamment sur l’Espagne, qui a tiré les prix vers le bas dans l’ensemble de l’UE. Mais côté parité monétaire, la paire euro/dollar est restée très stable et au-dessous de sa moyenne 10 ans. On ne peut donc pas dire que l’euro ait été handicapant sur nos exportations vers les Pays tiers.

Des produits agricoles ballottés dans un environnement instable

Si la météo occupe fort justement nos esprits, il est impossible de faire l’impasse sur une lecture plus large des marchés. Qu’on le déplore ou non, les céréales et les oléagineux mais aussi les produits animaux, resteront ballottés dans cet environnement instable lié à l’endettement hypertrophié de l’ensemble des pays de la planète.

Patricia Le Cadre / www.cereopa.fr

Qu'en sera-t-il pour la prochaine saison ? 

Avec la saison qui démarre, difficile d’être optimiste sur la conjoncture économique française. Le pouvoir d’achat ne se rétablira pas par miracle et la contraction des débouchés intérieurs de nos céréales reste problématique. Du côté du taux de change, nous pourrions rester dans une dynamique parallèle entre BCE et FED, ce qui limiterait la volatilité de l’euro. Mais nous ne sommes pas à l’abri de paris risqués des investisseurs face à l’instabilité politique française. Du côté de la pression ukrainienne, certes le pays aurait 29 % de marchandises en moins à exporter, mais sa monnaie reste un atout considérable. Rappelons qu’après l’invasion russe, le pays a dévalué sa monnaie de 20 % et que depuis janvier 2024, l’hryvnia s’est de nouveau dépréciée de 9 % face au dollar (baisse du taux directeur ukrainien). Cela permet au pays de garder de la compétitivité à l’exportation, vitale pour soutenir son effort de guerre. En ce qui concerne la Russie, là encore au-delà des volumes moins importants qui seront mis à disposition, il faut être attentif à l’évolution de la devise locale. Le rouble a subi une forte variabilité depuis février 2022, mais la paire rouble/dollar est redescendue au-dessous de ses niveaux d’avant-guerre, en dépit de la surveillance étroite dont la devise est l’objet et de l’étroitesse actuelle de son marché.
Le marché du blé sera aussi très sensible au positionnement des importateurs qui achètent tous à crédit. La baisse des taux US leur permettrait de revenir aux achats. En attendant, ils tapent dans leurs stocks.
Une situation explosive.


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