L’exercice s’avère par avance compliqué : vouloir dresser une liste exhaustive des cultures de vente adaptées au climat et au savoir-faire breton est difficile, on en oublierait sûrement. Les agriculteurs bretons se sont diversifiés au fil du temps ; l’exemple des légumes commercialisés sous la marque Prince de Bretagne en témoigne. Il y a 40 ans, le chou-fleur, l’artichaut et la pomme de terre représentaient presque la totalité du chiffre d’affaires. Aujourd’hui, les légumiers cultivent 47 espèces différentes de fruits et de légumes, près de 150 si on compte toutes les références. La Bretagne tire son épingle du jeu grâce à son climat, la salade de 4e gamme en est un bon exemple. « Nous étions un bassin de production comme les autres il y a quelque temps. Puis, la demande des industriels a été plus forte en été, nous sommes devenus un acteur quasiment incontournable », observe Marc Kéranguéven, président de la Sica Saint-Pol-de-Léon (29). Face à des sécheresses estivales à répétition dans le reste de la France, la Bretagne fait office d’exception.
La porte ouverte à une multitude de cultures
Si l’on compte toutes les céréales, les colzas, les haricots, le blé noir, on oublie d’autres espèces plus rares mais tout de même présentes comme les bambous, la pastèque, les agrumes, les plantes à parfum aromatiques et médicinales, le houblon… Le lin est venu récemment gonfler ce panel, plus de 2 000 ha sont en cours de rouissage dans les champs.
À l’image des Climats du vignoble de Bourgogne inscrits dans la catégorie Patrimoine mondial de l’Unesco, « nous avons aussi en Bretagne cette chance : la région comme ces vallons de Bourgogne est très variée, avec des zones précoces et tardives, qui nous ouvrent les portes d’une multitude de cultures », apprécie Jean-René Menier, agriculteur dans le Morbihan et président de l’association Leg- go, pour Légumineuses à graines du Grand-Ouest. Mais que pourrait-il manquer aux Bretons pour faire pousser 1 000 cultures différentes ? « Des sommes de température », rappelle-t-il, en prenant exemple le soja à haut potentiel. « On ne peut cultiver que du triple ou quadruple zéro (très précoce) pour réussir à le faire mûrir ». L’association a donc travaillé sur la thématique du climat et sur des espèces comme la lentille ou le pois chiche, espèce dont la floraison est indéterminée et qui refleurira donc dès que les pluies seront de retour. La parade a été trouvée en fauchant les champs avant récolte pour stopper le cycle végétatif, suivie « de la récolte. Avec cette technique, on s’adapte », précise le président.
Savoir raison garder
Si tout semble pousser en Bretagne, l’agronome Jean-Luc Le Bénézic rappelle des fondamentaux qu’il est précieux de se remémorer. « 90 % de la réussite de notre agriculture passe par l’observation de nos animaux, de nos cultures, de nos sols ». C’est pourquoi il invite à se rappeler des pratiques des anciens et que, plutôt que de choisir d’essayer « des plantes exotiques, de redécouvrir des plantes autochtones. Il y a parfois des choses simples que l’on ne sait plus travailler ». Et l’agronome de citer l’exemple du blé noir, qui peut trouver toute sa place dans une rotation, même s’il est semé après récolte d’une orge. « Soit l’année permet de le récolter, soit il produira un très bon couvert. On ne sait plus regarder ce qui pousse autour de nous, on ne sait plus trier ». Jean-Luc Le Bénézic de rappeler que le recours à une diversité d’espèces végétales est bénéfique pour la biodiversité et notamment les auxiliaires des cultures, « nous avons vu le retour des syrphes dans les années 2010. Ils sont capables de manger 10 à 20 fois plus de pucerons que les coccinelles ; ce sont nos meilleurs alliés », conclut-il.
De plus en plus de fruits
La diversification de notre production ne fera qu’augmenter. Avec l’évolution du climat et à l’horizon 2050/2080, les cultures du sud vont remonter. Même si les températures vont augmenter en Bretagne, nous pourrons continuer à produire des légumes et de plus en plus de fruits. Nous démarrons la myrtille, la framboise, nous nous intéressons aux mûres. Des essais en fruits exotiques sont en cours, sur des agrumes ou sur de la vanille. On sait produire, tous les voyants sont au vert, il faut maintenant mettre en corrélation l’économie et le consommateur. Cette envie de se diversifier chez les Bretons vient peut-être de notre côté géographique excentré : nous sommes obligés de nous prendre en main, cela fait partie de notre caractère.
Fanch Paranthoën