Il semblerait que la connaissance de l’histoire et surtout la volonté de continuer à faire vivre les souvenirs sont dans les gènes de la famille de Jean-Claude Abgrall, paysan à la retraite de Saint-Vougay (29). Déjà dans les années 40, Yvonne, mère de Jean-Claude, avait détourné la fonction de son cahier de correspondance, destiné à l’origine à informer sur les résultats scolaires et sur l’attitude de l’élève en classe : après quelques pages remplies par les instituteurs, la jeune femme de l’époque a rédigé des textes et des messages, des tranches de vie de la Finistérienne au cœur des évènements de la Seconde Guerre mondiale. On peut ainsi lire, dans l’espace initialement prévu pour la signature des parents, « Débarquement allié 6 juin 1944. Arrivée des Américains à Saint-Vougay le 6 août à 17 heures, Mengleuz ». En page suivante, « Cette guerre qui a déjà duré 5 ans approche maintenant de sa fin grâce aux alliés et à nos braves patriotes FFI. Notre patrie meurtrie retrouvera bientôt sa liberté. Vive la France, vive l’Amérique, vive l’Angleterre ».
Revenons à ce jour du 6 août 1944. Par chance, un habitant de Plouvorn (29) possède un appareil photo et immortalise le passage de camions et de chars qui passent dans le bourg. Il s’agit de la 6e division blindée qui, après être remontée du Cloître-Saint-Thégonnec (29), théâtre de combats sanglants, file vers Brest pour libérer la cité du Ponant. Sur l’image, on peut voir des personnes endimanchées. « C’était la sortie des vêpres », précise le Saint-Vougaisien. « La poussière et le bruit des chenillettes », un souvenir ancré dans la mémoire d’un témoin, qui s’est confié à Jean-Claude pour lui relater cet évènement.
Plus loin, quand ces soldats américains passent au carrefour du Mengleuz, entre Berven et Lanhouarneau, « les gens se sont mis à faire une ronde pour témoigner de leur joie, et ont chanté le chant des partisans ». Dans les paroles de cet hymne à la libération, on peut entendre « Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes ». Des mots « qui prenaient tous leurs sens ».
Du repos au château
La bataille pour libérer Brest fut éprouvante, « la 156e infanterie venait se reposer au château de Kerjean », soit au pied de la ferme de Jean-Claude Abgrall. Se nouent alors des relations fortes entre les soldats et la famille, qui continueront après la guerre à échanger de façon épistolaire. « Une de mes tantes travaillait à l’hôtel d’Angleterre à Roscoff, elle parlait anglais ».
Pour saluer l’action des soldats commandés par le général Patton, la Voie de la Liberté, s’étirant de Sainte-Mer-Église (50) à Bastogne en Belgique est jalonnée tous les kilomètres, soit un total de 1 145 bornes, toutes identiques. Construites en béton, ces bornes « ont été fabriquées dans le même moule. Elles comportent toutes en partie basse les vagues de la mer, puis les étoiles du drapeau américain et enfin la flamme de la statue de la liberté ». Après quelques recherches et des coups de téléphone, Jean-Claude Abgrall, avec l’aide d’Aurélien Coquil, retrouve 2 de ces bornes qui dorment tranquillement au musée des sapeurs-pompiers de Plougastel-Daoulas (29). Elles sont ramenées à Saint-Vougay pour y être restaurées. Arnaud Lacroix, franco-américain et ami de Jean-Claude, a vent du projet. C’est décidé, son épouse Sarah Wiesbrock et son amie Alicia Queen, américaine de Morlaix, vont se charger de redonner des couleurs à l’édifice historique. Une fois terminée, l’une de ces bornes sera érigée au carrefour de Mengleuz, là où passait la 6e DB il y a 80 ans. Pour aller encore plus loin, Arnaud Lacroix se lance dans la recherche des descendants du soldat américain Richard Dronet, qui a séjourné à la ferme dans les années 44. Sa sœur Elsie a continué à correspondre après la guerre avec la famille de l’agriculteur, les habitants de la ferme ont conservé tous ces échanges de courrier, jusqu’au carton d’invitation des noces de Joyce Dronet, nièce du soldat, célébrées aux États-Unis en 1966 en Louisiane.
Une capsule temporelle pour demain
Ce n’est pas sans émotion que Jean-Claude Abgrall parle de ces histoires ; c’est aussi avec le cœur qu’il s’engage dans cette aventure. Le 11 août prochain, ce sera la fête (voir encadré). À l’occasion de cette date anniversaire, des témoignages donnés par écrit seront soigneusement collectés et enfermés avec des objets ayant un lien avec cette histoire dans une capsule temporelle qui sera enterrée.
Des copies de ces témoignages seront archivées en mairie, la capsule sera réouverte dans 20 ans, soit un siècle après le passage de la 6e DB.
Dans le ciel, des étoiles, peut-être que certaines brillent pour ces soldats tombés. Elles scintillent aussi pour que cette histoire ne s’efface pas.
Fanch Paranthoën
Appel à témoins
Jean-Claude Abgrall et Arnaud Lacroix sont tous deux des passeurs d’histoire et de mémoire, à la recherche de témoignages et de souvenirs, « même ceux qui paraissent insignifiants, anodins ». Outre le devoir de mémoire, c’est de faire ressentir l’ambiance qui régnait à cette époque pas si lointaine de nous qui les animent. « Pour bien construire notre avenir, n’oublions pas notre passé ». Afin d’alimenter la capsule temporelle, toutes les personnes des alentours sont les bienvenues pour venir apporter leur pierre à l’édifice. Rendez-vous le 11 août, à partir de 14 h à la salle Ar Brug, pour une exposition américaine par Dominique Pouliquen et Gilbert Jézéquel, qui feront revivre cette épopée. À 17 h : inauguration de la borne « Voie de la Liberté », au terrain de football. Renseignements : Jean-Claude Abgrall, 06 63 52 83 53, ou Arnaud Lacroix au 06 82 98 46 97, tous deux membres de la commission patrimoine de Haut-Léon Communauté.
SAINT-VOUGAY (29)