Mai 1996, douze baleines s’échouent sur les rivages du Golfe de Cyparisse, en Grèce. Quelques témoins remarquent au même moment des bâtiments militaires évoluant au large. Parmi eux, figure un navire expérimental de l’Otan utilisant un sonar à basse fréquence. Très vite, les médias s’emparent de l’affaire et titrent à la une « L’Otan tue les baleines ». Pour l’alliance atlantique, impossible de faire la sourde oreille. Sous son impulsion, un groupe de chercheurs internationaux est constitué avec pour mission d’établir s’il existe ou non un lien de cause à effet entre son activité et l’échouage des cétacés. La conclusion de l’étude sera sans appel et fera date. Oui, la mort de ces mammifères marins a bien pour origine la pollution sonore engendrée par l’exercice militaire. « Et aujourd’hui, on sait pertinemment que la faune et la flore marine sont perturbées par le bruit », souligne Thomas Folegot.
Ingénieur, docteur en acoustique, ce scientifique a lui-même travaillé au sein d’un centre de recherches de l’Otan, en Italie, de 2004 à 2009. « Dans le cadre de mes expériences, j’ai dû réaliser des études d’impact. Et c’est ainsi que j’ai été sensibilisé à la pollution sonore ». À l’issue de ses cinq années transalpines, le chercheur, qui avoue une fibre entrepreneuriale, s’interroge quant à son avenir. Et pourquoi ne pas créer une société spécialisée dans la mesure des bruits sous-marins ? Avant de mettre le cap sur Brest et de se lancer dans l’aventure de la création d’entreprise, il complète son cursus par une formation à HEC. « Je me suis rodé à la finance, au marketing, à la stratégie d’entreprise ». Pour son sujet de mémoire, le quadragénaire pose les bases de ce qui deviendra ensuite Quiet Oceans. « J’ai réfléchi à ce que je pouvais apporter de nouveau à l’acoustique sous-marine ».
Du son à l’image
Novateur, son concept fondateur a tout de l’idée géniale : cartographier le niveau sonore et le traduire visuellement par l’emploi de couleurs. « C’est un excellent moyen pour échanger et dialoguer avec tous ceux qui ne sont pas acousticiens. Tout le monde comprend que là où il y a du rouge, le bruit est important ! »
Fin 2009, son brevet en poche, confiant, Thomas Folegot prend son bâton de pèlerin et entame la tournée des organisations non gouvernementales afin de leur présenter Quiet Oceans. « Dans mon esprit, cela allait forcément les intéresser pour communiquer auprès du grand public et faire savoir ce qui passait sous la surface des océans ». S’il reçoit bien des encouragements, aucun de ses interlocuteurs ne va pour autant au-delà. Notre homme se tourne alors vers les sociétés travaillant dans le domaine de l’éolien offshore, de la sismique sous-marine. En vain. « À l’époque, ces entreprises ne se sentaient pas concernées… »
Mais ce ne sont là après tout que les affres de la vie d’une start-up. Le Brestois persévère. Et à l’été 2010, un coup de pouce du destin vient accélérer l’histoire. « En août, la Commission européenne a voté une directive cadre ‘Stratégie pour le milieu marin’ qui définissait onze paramètres d’évaluation du bon état des océans, parmi lesquels le bruit sous-marin. Dès le mois suivant, mon téléphone s’est mis à sonner ! » Et il ne s’est guère arrêté depuis.
Un marché d’avenir
Quatorze ans plus tard, toujours basée sur le technopôle de Brest Iroise, à Plouzané, Quiet Oceans emploie 24 salariés. Reconnue pour son savoir-faire, la société finistérienne intervient en France comme à l’étranger. « Nous travaillons beaucoup en Europe ainsi que dans les pays nordiques. Nous intervenons aussi au Canada, en Afrique du Sud et au Moyen-Orient. Nos clients potentiels sont tous ceux qui font du bruit en mer : les énergies marines renouvelables, les ports, les émissaires de collectivité, les ouvrages d’art, le déroctage, le déminage… » Un marché qui n’est pas près de se tarir : la réglementation se crée ou se renforce partout dans le monde.
Si Quiet Oceans exploite toujours aujourd’hui le brevet de ses débuts, l’entreprise a aussi continué à investir tout au long de ces années dans la recherche et le développement. « Nous essayons d’avoir toujours une longueur d’avance, souligne Thomas Folegot. Et pour la conserver, nous misons désormais plus sur une forme de culture du secret que sur les brevets ». Il ne s’agirait pas que les choses s’ébruitent, foi d’acousticien !
Jean-Yves Nicolas
Transformer une intuition en une réussite
Opinion : Françoise Ansquer – responsable de la Filière maritime pour le Finistère, CMB
Au sein du Centre d’affaires Entreprises du Finistère, je suis la société Quiet Oceans depuis la création de la Filière maritime du Crédit Mutuel de Bretagne, il y a deux ans. Dès que j’ai rencontré Thomas Folegot, j’ai été bluffée par ce personnage atypique. C’est une forme de génie dans son domaine scientifique, un précurseur. Et il a su transformer avec talent son intuition de départ en une réussite entrepreneuriale.