À l’heure où la France, malgré une petite récolte, peine à exporter ses blés (7 %(1) des ventes mondiales), alors même que ce poste représente 50 % de nos débouchés, il est intéressant de se poser la question d’une trop forte dépendance au marché mondial. Et ce d’autant plus que la géopolitique nous montre les limites de l’exercice ! C’est aussi la question que se posent d’autres pays très autosuffisants, dont l’Australie pour son blé (12 % des ventes mondiales) ou le Brésil pour son maïs (26 % des ventes mondiales).
L’Australie dépendante du fret maritime
Dans son récent livre « War and Wheat », Dennis Voznesenski pointe les deux grandes vulnérabilités de l’Australie en cas de conflits armés exacerbés : sa forte exposition aux exportations de céréales et d’oléagineux et sa forte exposition aux importations de carburant.
En ce qui concerne les productions agricoles, le faible marché intérieur n’est pas un moteur de développement. Au cours des 10 dernières années, l’Australie a exporté en moyenne 70 % de sa production de blé, soit l’équivalent de 19 millions de tonnes par an. Pour l’orge et le colza, les exportations atteignent respectivement 64 % et 80 % des volumes produits sur la même période. Le pays étant forcément dépendant du fret maritime pour expédier les récoltes excédentaires, se pose la question de leurs débouchés en cas de fortes perturbations du transport maritime, comme cela se passe en temps de guerre (ou d’épidémie).
Deux options sont évoquées par l’auteur pour limiter un stockage trop important et le risque de dégradation des cotations sur le marché intérieur : organiser le stockage au niveau gouvernemental ou trouver une autre source de valorisation. En réactivant l’Australian Wheat Board, le gouvernement pourrait offrir aux producteurs un prix minimum du blé et stocker la marchandise. En cas de nécessité sur le marché mondial, les stocks accumulés seraient attribués aux États en fonction de leurs besoins. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé lors des deux guerres mondiales. Cette solution prendrait cependant du temps, de l’argent et demanderait un engagement fort du gouvernement pour porter ses réserves physiques.
La deuxième solution investiguée paraît plus simple et coche plus de cases si les productions excédentaires étaient fléchées vers les biocarburants. En créant un débouché national pour leurs céréales, les agriculteurs australiens pourraient continuer à cultiver en toutes circonstances. D’un autre côté, cela permettrait de décarboner leurs transports, de soutenir l’agriculture et potentiellement, en cas de guerre, de faire tourner les industries essentielles si les importations de combustibles fossiles devenaient indisponibles(2).
La deuxième récolte de maïs brésilien exportée
Au Brésil, les agriculteurs ont vite compris qu’ils avaient mis la charrue avant les bœufs en matière de production du maïs dans les États du centre du pays. Le maïs est en effet récolté au moins deux fois par an, avec une première récolte qui suffit à satisfaire le marché intérieur de l’alimentation animale. La deuxième récolte est vouée à l’exportation quelques mois avant l’arrivée de son rival nord-américain, les USA. Avec un fret pénalisant pour sortir son maïs enclavé vers les ports du nord ou du sud (n’a pas de Mississipi qui veut !), l’agrobusiness brésilien a rapidement compris qu’il fallait développer une filière biocarburant locale, afin de ne pas exposer l’ensemble de la rémunération des agriculteurs au marché mondial. C’est ainsi que ce pays, historiquement consommateur d’éthanol à base de canne à sucre(3), a construit à tour de bras depuis moins de 10 ans, des usines notamment dans le Mato Grosso. L’entreprise Inpasa espère devenir la plus grande productrice d’éthanol de maïs d’Amérique latine avec d’ores et déjà son usine de Sinop, qui a rejoint depuis peu le club des usines d’éthanol les plus grandes au monde (capacité de 2,1 milliards de litres). Les USA qui ont ajouté ce deuxième réacteur à leur marché du maïs depuis plus longtemps y consacrent désormais 44 % de leur production. Le Brésil a déjà atteint, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, 12 % de ses débouchés sur cette filière. Et la machine ne devrait pas s’arrêter là vu les investissements en cours(4) et les programmes de décarbonation portés par le gouvernement.
Patricia Le Cadre www.cereopa.fr
(1) Blé tendre + blé dur- moyenne 2022-2024
(2) L’Australie importe plus de 90 % du carburant qu’elle utilise.
(3) Depuis les années 1970 !
(4) Aujourd’hui, le Brésil produit 6 milliards de litres d’éthanol de maïs, tandis que les États-Unis en produisent plus de 60 milliards.
La faim touche 9 % de la population mondiale
Nous ne manquons pas de céréales à l’échelle planétaire, et pourtant la faim dans le monde touche environ 9 % de la population mondiale.Cette situation est avant tout attribuable à un manque de distribution des marchandises dû soit à la spéculation, soit au terrorisme et à la géopolitique, soit aux deux.
L’équilibre avec les biocarburants
Qu’on soit pour ou contre l’utilisation des céréales dans le secteur des biocarburants, il est clair que l’équilibre des bilans mondiaux passera aussi par ce poste-là et qu’il convient d’y prêter attention. Car ce qui est décidé dans un pays aura forcément des implications pour les autres. Nous le constatons aussi sur les oléagineux, avec une part de plus en plus importante de la production transformée en biocarburants dans le pays d’origine (Indonésie pour le palme, soja pour le Brésil et les USA) et un impact direct sur les disponibilités d’huiles brutes à l’exportation.La solution à la volatilité résulte peut-être d’un entre-deux : réactiver des stocks d’intervention et aller chercher de la valeur dans les biocarburants. La baisse programmée des énergies fossiles peu chères devra de toute façon nous questionner sur le fléchage prioritaire de ces agrocarburants vers la production nourricière !