Témoignages : L’agriculture en temps de guerre

Deux français qui vivent en Ukraine ont livrés leur quotidien depuis le début de la guerre un sur une exploitation céréalière de 21 000 ha et l’autre sur un élevage avicole avec abattage et transformation de la viande.

Montage de 2 hommes sur un fond d'activité d'ensilage dans un champ - Illustration Témoignages : L’agriculture en temps de guerre
Clément Coussens vit en Ukraine depuis 10 ans où il dirige une exploitation céréalière de 21 000 ha à 100 km du front. De son côté, Gérald Thomasset (à droite sur la photo) est installé dans le pays depuis 28 ans ; il a fondé un élevage de volaille adossé à un atelier de transformation.

« Nous sommes le 24 février 2022 et la Russie se met à bombarder l’Ukraine. Malgré cette guerre qui dure maintenant depuis deux ans et demi nos activités en Ukraine perdurent », introduit Pascal Hieronimus, gérant de l’entreprise Est Expansion qui accompagne depuis 25 ans des PME françaises dans le développement de leurs affaires en Ukraine, lors d’une conférence qui s’est déroulée le 18 septembre au Space à Rennes (35). Clément Coussens est un Français qui vit en Ukraine depuis 10 ans, il est directeur général de l’exploitation agricole KMR d’une superficie de 21 000 ha située à moins de 100 km du front. « Ce jour-là lorsque la guerre éclate je convoque les 100 salariés de l’exploitation pour leur demander ce que l’on fait, si on continue ou si on arrête ? Les Ukrainiens appellent le blé »le pain« . Autant vous dire que lorsque la graine est en terre ils n’imaginent pas que ça ne soit pas récolté. Ils ont été unanimes pour poursuivre le travail et j’ai décidé de verser immédiatement une prime à chacun équivalente à plus d’un mois de salaire », témoigne Clément Coussens. Il indique avoir rapidement constitué des stocks de nourriture et révisé les groupes électrogènes pour ne pas être sans électricité. Il a aussi donné une pelleteuse et 4 véhicules à l’armée Ukrainienne. « Dès le lendemain, j’ai proposé aux salariés d’évacuer leurs familles vers la France puisque la mienne allait partir. La semaine suivante 100 personnes partaient en bus vers Colombey les Deux Églises ou ils ont été logés dans des hôtels. Nous de notre côté on continuait le travail dans les champs la peur au ventre. »

Des machines récoltent des céréales dans un champ en Ukraine
Récolte de céréales en Ukraine sur l’exploitation agricole KMR, d’une superficie de 21 000 ha, située à moins de 100 km du front.

Des salariés en panique à cause des blindés

Gérald Thomasset est un Français installé en Ukraine depuis 28 ans. Il est le fondateur et dirigeant de l’entreprise LPU qui a une activité d’élevage de volailles, un abattoir et un atelier de découpe/emballage de produits élaborés de viande de volaille pour le marché local. Les activités sont situées à Boutcha au Nord de Kiev, un secteur très touché dès le début du conflit. « Le jour ou la guerre débute je devais recevoir une livraison de canetons sur mon élevage. Je me suis dit qu’il fallait les recevoir puis après quelques heures de réflexion j’ai annulé la livraison. C’était la bonne décision car 24 heures plus tard les forces armées russes étaient à quelques kilomètres de Kiev. Dès la première semaine toute mon activité était bloquée. J’ai décidé d’abattre précocement mes volailles en cous d’élevage pour sauver ce qui pouvait encore l’être. Cela s’est vite arrêté car les salariés étaient en panique à cause des blindés qui circulaient juste à côté de l’abattoir. Ce dernier étant à l’arrêt j’ai dû ouvrir les portes de mon poulailler pour laisser partir les 18 000 canards faute de débouché et n’ayant pas d’autre solution », raconte Gérald Thomasset. Le chef d’entreprise est ensuite parti avec sa femme et ses 3 garçons chez des amis à l’Ouest de l’Ukraine avant de regagner la France fin mars.

Malgré cette guerre,
nos activités perdurent

20 camions achetés pour pouvoir exporter les céréales

Clément Coussens indique qu’il a fallu s’adapter au niveau trésorerie car il fallait faire du stock de produits phytosanitaires, d’engrais et de semence de printemps avec des prix qui explosaient dont le gasoil à plus de 2,5 €/litre. « Nous avons aidé les petites fermes voisines (de 50 à 1 000 ha) en leur fournissant ce dont ils manquaient pour poursuivre leur activité. En échange, ils nous ont réglé en apportant des céréales faute de trésorerie. Quand on a voulu vendre des céréales 1 mois après le début de la guerre on s’est rendu compte que les ports étaient bloqués et que les ventes et donc les rentrées d’argent n’étaient pas possibles. » Le directeur de l’exploitation qui précise que le corps humain supporte des choses assez inimaginables comme de ne dormir que 2 heures par nuit pendant plusieurs semaines doit alors réagir : « nous avons investi 2 millions d’euros dans l’achat de 20 camions pour pouvoir vendre nos céréales à bas prix. Nous avons dernièrement construit de nouveaux silos de stockages de céréales reliés à la voie ferrée pour pouvoir expédier directement par wagons vers l’Europe ou vers les ports. »

Les Russes ont quitté la zone de Kiev fin mars et Gérald Thomasset est retourné à Boutcha mi-mai. « Notre maison était intacte, le site de transformation de volailles a été brûlé tout comme un de mes bâtiments d’élevage. J’ai eu beaucoup de matériel de volé par des personnes des villages autour. Mes salariés voulaient reprendre le travail, mes clients me demandaient de la marchandise. J’ai décidé de redémarrer l’élevage et la transformation de viande de volaille, les clients ont payé les dettes ce qui a aidé à reprendre. Les prix de la viande sont très vite montés et le prix de l’aliment était très peu élevé ce qui a généré des rentrées d’argent assez importantes. Un an plus tard j’ai récupéré tous mes clients et mon chiffre d’affaires de 3 millions d’euros par an qui était celui d’avant le début de la guerre. » L’entrepreneur vient d’investir 150 000 € dans la construction d’une usine d’aliment. Son fournisseur de canetons arrête son activité cette année, il a donc construit un bâtiment d’élevage pour canards reproducteurs et fait venir des repro de France. La construction du couvoir pour un montant de 200 000 € est en cours pour pouvoir recevoir les premiers œufs à couver en octobre. « La guerre nous a contraint soit à arrêté nos activités soit à rebondir et à aller beaucoup plus vite au niveau de nos investissements. »

Nicolas Goualan

L’aviculture va poursuivre son développement en Ukraine

Clément Coussens réfléchit déjà à l’après-guerre et sait qu’il va devoir se diversifier pour valoriser lui-même ses céréales. Il rappele que le coût de revient d’une tonne de blé est actuellement à 140 € en Ukraine contre 200 € en France. « La meilleure valorisation est de créer un atelier de pondeuses sur l’exploitation. On ne se projette pas encore sur la taille de l’élevage mais le plus gros sera le mieux pour réaliser des économies d’échelle. » L’entrepreneur lance tout de même le chiffre d’un million de pondeuses envisagé pour un démarrage d’activité. Il précise aussi que lorsque l’on connait les rouages de l’administration en Ukraine ce type de projet peut sortir de terre en moins d’un an sans limite de taille.


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