Elles sont actuellement sur la côte ouest de l’Afrique, loin des frimas de l’hiver breton. Les sternes, également appelées hirondelles de mer, reviennent aux beaux jours dans la région. Au mois d’avril, ces oiseaux exclusivement marins, s’installent et aménagent leurs nids à même le sol. Une aubaine pour les prédateurs, chiens errants, rats ou renards. Les activités humaines perturbent aussi la nidification. Les plus chanceuses, qui réussissent à pondre, couver et élever leurs petits, s’envolent pour le grand sud en fin d’été, avec leur progéniture. Dans le cas contraire, une génération s’efface et met en danger la survie de l’espèce. « C’est de plus en plus le cas », selon Yann Jacob, chargé de missions naturalistes à Bretagne Vivante.
Compétition alimentaire
Quatre espèces s’établissent sur nos côtes : les sternes Caugek, Pierregarin, Dougall et naine. Le constat est le même pour chacune d’entre elles. Les îlots marins, les anciens marais salants, les infrastructures artificielles délaissées (digues, gabions, pontons), ou les anciennes barges d’ostréiculteurs ne suffisent plus à leurs besoins de reproduction. « Nous avons installé des radeaux remplis de coquillages dans certains endroits qui donnent satisfaction, comme dans le golfe du Morbihan, mais, du coup, ces lieux sont surfréquentés, ce qui peut poser des problèmes sanitaires ou une compétition accrue pour la ressource alimentaire en période de croissance des jeunes ». Dès 2018, en collaboration avec l’Office français de la biodiversité, une dératisation a été réalisée sur l’îlot de la Colombière, entre Saint-Malo et le cap Fréhel, où des colonies sont installées. « Des actions de protection intéressantes mais qui ne suffisent pas à assurer la pérennité de l’espèce dans la région ».
Protéger l’île aux moutons ou l’îlot de la Colombière
Un schéma régional a été élaboré en collaboration avec l’Agence de l’eau Loire-Bretagne et tous les partenaires bretons impliqués dans la protection de ces oiseaux. Ce plan vise à protéger les quelques sites de nidification existants : l’île aux Moutons, proche de l’archipel des Glénan, et l’île de La Colombière abritent les principales colonies bretonnes de sternes Caugek et de Dougall tandis que la sterne naine niche surtout dans l’archipel de Molène, en Finistère, et au large du sillon de Talbert, dans les Côtes d’Armor. « Ces sites sont déjà des espaces naturels protégés mais certaines mesures de conservation restent encore à renforcer, pour éviter les perturbations humaines, grâce à la sensibilisation des usagers, ou la lutte contre les espèces exotiques envahissantes ».
Réhabiliter les sites autrefois favorables
L’enjeu du schéma régional est surtout de restaurer des conditions favorables à l’accueil des sternes là où elles nichaient par le passé et où, aujourd’hui, les conditions propices ont disparu, en premier lieu des îlots du Trégor-Goëlo et des îlots de la ria d’Étel. « Des volontaires en service civique seront embauchés pour y faire du gardiennage et des comptages d’oiseaux et de prédateurs ». La collaboration entre les différentes parties prenantes de ces territoires est un facteur clé de succès : collectivités locales, opérateurs Natura 2000, services de l’État, associations naturalistes, usagers… « Tous doivent conjuguer leurs efforts pour y parvenir ». Le schéma inclut des actions de protection réglementaire, de maîtrise foncière, ainsi que des initiatives de sensibilisation des usagers du littoral. « Tous les efforts entrepris pour sauver les sternes bénéficient à bien d’autres espèces. La sterne est une espèce parapluie ». Bernard Laurent
Les îlots de la rivière d’Étel, un site majeur en Bretagne
Yann Jacob – Bretagne vivante
En Morbihan, les îlots d’Iniz er Mour et Logoden, sur la commune de Sainte-Hélène, accueillent régulièrement la plus abondante colonie de sterne pierregarin de Bretagne. Ces espaces de très faible surface, proches du littoral et du chenal principal de navigation sont particulièrement exposés à la fréquentation humaine et accessibles à basse mer aux mammifères terrestres. « La présence de chiens divaguant sur l’estran peut mettre en péril la colonie et certaines années des rats surmulots envahissent les îlots, comme en 2023. Les bateaux qui approchent trop près provoquent aussi des envols, laissant œufs ou poussins sans protection », déplore Yann Jacob. D’autres îlots de la ria ont été restaurés pour pallier ces risques et permettre aux sternes de s’y installer. Ce travail de restauration (fauche de la végétation, dératisation), a permis à des couples de sternes de se reproduire en 2024.
Quand les sternes protègent les moules
Frédéric Hansen, mytiliculteur dans l’Aber Benoît, témoigne : « Ma production de naissain de moules avait tendance à diminuer. J’ai soupçonné les dorades d’en consommer mais je me suis rendu compte que les coupables étaient les goélands. Je savais que les sternes, qui nichaient sur nos barges, avaient tendance à les chasser. J’ai donc aménagé un chaland (barge), sur ma concession, en 2020, avec des coquillages et du goémon pour faciliter leur nidification. Ça a fonctionné. La période de ponte des sternes correspond à la période de sortie des naissains. Elles ont chassé les goélands. Ma récolte de naissains est aujourd’hui de 50 tonnes par an, soit plus du double d’avant l’installation de la barge, et je produis près de 200 tonnes de moules par an.»