« Après six ans d’activité, le chemin parcouru nous conforte dans nos choix. Produire du bœuf avec des ressources fourragères non concurrentes de l’alimentation humaine et nourrir des cochons avec les sous-produits et coproduits de nos cultures se révèle pertinent. Je connais des éleveurs qui sèment du triticale pour leurs cochons… Ce qu’ils considèrent comme un déchet, suite au tri de la récolte, nous, on le donne aux nôtres. Globalement, notre coût alimentaire est deux fois moins élevé que la moyenne ».
À la ferme de Trévero où huit personnes travaillent et vivent sur 80 ha, tout le monde se réunit le lundi matin pour faire le point de chaque atelier, organiser la semaine, prendre les décisions stratégiques… Sorte de ferme expérimentale, s’il en est, libre de s’inventer et qui ne se prive pas de le faire. La parole d’un membre y valant celle d’un autre, Benjamin Frezel nous détaille la philosophie du projet.
Terres arables
« L’idée de départ était de ‘‘faire sens’’ en proposant des réponses à la double injonction contradictoire des attentes sociétales : faire de la qualité sur la production, mais aussi au plan sanitaire, environnemental ou sur le bien-être animal et tout cela, évidemment, à bon marché ! ».
Impasse connue favorable aux importations. Alors, quelle vision l’équipe de Trévero tente-t-elle d’esquisser tout en essayant de prendre en compte le défi alimentaire planétaire ?
« Le fait est qu’il n’y a jamais eu aussi peu de terres arables disponibles avec autant de bouches à nourrir… L’usage des terres cultivables est donc, à nos yeux, un énorme sujet. Les consacrer majoritairement à l’élevage, c’est passer à côté de la capacité extraordinaire des animaux à valoriser des ressources que nous, humains, ne pouvons valoriser. Dans cette logique, toutes nos terres arables servent à cultiver des plantes destinées à l’alimentation humaine et nos élevages ont été dimensionnés en fonction de cette donnée. Nos cochons valorisent l’ensemble des sous-produits et coproduits issus de la transformation de nos cultures : lentilles et grains de blé avortés, graines d’adventices, récoltes déclassées, associés à du son de blé et du tourteau de colza. Les bovins engraissent sur l’ensemble de nos terres humides ou superficielles auxquelles viennent s’ajouter les prairies temporaires intégrées à nos rotations. On optimise ainsi notre production en obtenant plus d’alimentation sur une même surface ».
Fertilisation ?
Limite d’un tel système : le besoin d’effluents pour fertiliser les terres. « Il nous faut acheter de la fiente de volailles à l’extérieur. Un point que nous devons faire évoluer. Maintenant, en le considérant à plus grande échelle : hormis le fait d’accepter de diminuer à terme les rendements des cultures et la consommation de viande, l’une des pistes à suivre, du moins pour l’agriculture bio, serait de faire entrer de façon plus systématique les prairies temporaires et le broyage de couverts végétaux dans la fertilisation des sols ».
Pierre-Yves Jouyaux
Contact : Ferme de Trévero, www.trevero.fr, 06 52 93 75 93.
Repères : Ferme bio créée en 2019 ;EARL – 2 associés – 6 salariés ;SAU 80 ha ;Cultures : légumineuses, pommes de terre, céréales (blé, millet, chanvre, sarrasin, colza…) ;Élevages : porcs en plein air naisseur-engraisseur ;9 à 10 porcelets sevrés par portée ;Bovins : 30 Limousins (engraissement) ;Volailles : 990 poules pondeuses ;Vente intégrale de la production en direct ou en circuit court ;CA : 600 000 € ;50 % en vente directe ;50 % auprès de professionnels (épiceries, restaurateurs, boulangers…).
Ajustement de l’élevage porcin
Responsable de l’atelier porc, Benjamin Frezel nous explique comment le principe d’un élevage autonome alimentairement (ne prélevant que sous-produits et coproduits des récoltes) a dû s’adapter à la réalité économique :« On a fait le choix d’un élevage naisseur-engraisseur en race Duroc, espèce rustique à la viande persillée dont la génétique offre un compromis idéal pour notre élevage en plein air. Mais nos calculs ont vite montré qu’il nous fallait écouler un volume minimum de viande si on voulait amortir nos investissements et pouvoir ‘‘encaisser’’ les accidents de fertilité. C’est pourquoi on a décidé de fonctionner avec 3 bandes de 4 truies pour 140 porcs charcutiers à l’année (au lieu des 30 prévus initialement). En conséquence, on n’est pas tout à fait autonomes en alimentation. Il nous faut acheter du son à des meuniers, un peu de tourteau de colza, des lots de céréales déclassées ou de farines non commercialisables. À l’avenir, on espère pouvoir agrandir la ferme pour couvrir intégralement les besoins de nos cochons ».