Des huiles durablement sous tension

Les cotations des huiles végétales ne cessent de progresser, et si une partie de la hausse s’explique par des facteurs conjoncturels, nous assistons surtout à la confirmation d’éléments structurels amenés à perdurer.

Une rangée de pompes à essence - Illustration Des huiles durablement sous tension
En 2023, la biomasse végétale consacrée aux biocarburants oscille de 13 à 23 % selon les analystes. | © atar - stock.adobe.com

La dernière publication de la FAO fait état d’un bond des indices de prix des huiles végétales de 7 % d’un mois sur l’autre, principalement à cause de l’augmentation des cours de l’huile de palme. À Kuala Lumpur ou Dalian, la spéculation bat son plein. Face au déficit en huiles auquel le marché mondial fait face cette saison, les paris haussiers sont de mise. Baisse de la production en Indonésie, recul des stocks en Malaisie, hausse de la demande alimentaire et industrielle, tous les ingrédients pour tendre le marché sont au rendez-vous. En 2022, le prix des huiles avait flambé pour des raisons similaires. L’indice FAO avait atteint 246. À 144 en octobre dernier, nous sommes donc encore loin de ce record, mais la tendance haussière s’inscrit dans la durée.

Décalage entre la demande énergétique mondiale et l’offre disponible en lipides naturels

La course à la décarbonation des transports

Car la production de biocarburants, qui sous-tend une partie importante de la demande en huiles végétales a changé de braquet. À la recherche d’une plus grande autonomie énergétique, s’est ajoutée une course à la décarbonation des transports. Ce changement de paradigme est déterminant pour comprendre le marché des oléagineux qui nous attend.

En 2023, la consommation mondiale de diesel (et de carburéacteur) était évaluée à 1,3 milliard de tonnes. Face à cela, l’ensemble des graisses animales et huiles végétales produites pèsent peu. S&P Global Commodity Insighs estime dans une récente étude, que leur production totalisait 191 millions de tonnes en 2023 et que 13 % de cette biomasse étaient consacrés aux biocarburants (6 % en 1990). Cela représente moins de 2 % de la consommation totale de diesel. Les spécialistes d’Oil World tablent sur des chiffres plus élevés, avec 260 Mt d’huiles et graisses consommées en 2024 dont 23 % à destination des biocarburants. Dans les deux cas, le décalage entre la demande énergétique mondiale et l’offre disponible en lipides naturels est énorme et ne peut que mettre ce marché en tension. La percée du GNL dans le transport routier et l’électrification des voitures est en marche. Mais les concurrences d’usages sur les huiles végétales ne vont pas disparaître par enchantement dans les prochaines années.

Patricia Le Cadre / www.cereopa.fr

L’huile de soja, le ‘carburant du futur’ ?

Et ce qui se passe sur le palme est aussi d’actualité sur le soja. Le président brésilien Lula a promulgué en octobre, la loi « carburant du futur ». Celle-ci est basée sur trois programmes visant à remplacer les carburants fossiles dans les transports terrestres, maritimes et aériens. Le taux d’incorporation obligatoire de biodiesel augmentera de 14 % actuellement à1 % de plus chaque année soit 20 % en 2030. Cela devrait porter la demande intérieure d’huile de soja pour ce débouché de 6 Mt aujourd’hui à 15 Mt en 2030. En conséquence, le pays mettra moins d’huile brute sur le marché mondial et aura un fort besoin d’écouler des tonnages supplémentaires de tourteaux. Notons qu’aux USA, la tendance est pour l’instant identique, avec une consommation d’huile de soja par le marché américain des biocarburants qui pourrait doubler au cours de la prochaine décennie. Attention cependant à l’entrée en lice du prochain directeur de l’agence de protection de l’environnement (Lee Zeldin), peu favorable aux biocarburants. Mais il y a fort à parier que les lobbies puissent défendre les investissements réalisés d’ores et déjà dans les carburants verts aux États-Unis.

L’Indonésie, plus gros producteur devant la Malaisie

La première huile à avoir historiquement intégré le marché des biocarburants est celle de colza, grâce à une volonté politique précoce de l’UE de soutenir cette culture via cet usage industriel. Ce débouché représentait déjà 30 % de la production au niveau mondial en 2010, et 27 % aujourd’hui. L’huile de soja a été la deuxième à entrer en piste, et a vu son débouché biocarburant doubler de 2010 à 2024, pour atteindre 24 %. L’ huile de palme, quant à elle, a connu une véritable ‘succes story’ depuis 25 ans, devenant la première huile produite, exportée et consommée au monde à partir de 2005. Son débouché biocarburant a explosé de 2 % en 2010 à 17 % en 2024. En effet, l’Indonésie a changé de braquet dans les années 2010, pour faire face à la demande mondiale croissante en biodiesel. Mais moins de 10 ans plus tard, l’UE et les USA mettaient en place des barrières pour protéger leurs marchés intérieurs. Les lignes directrices Red II et III[1] en Europe et le RFS[2] aux États-Unis disqualifient l’huile de palme en tant que matière première durable sur ces marchés énergétiques clés. C’est la très forte intensité carbone de l’huile de palme, qui est mise en avant, la culture remplaçant de véritables puits de carbone (forêts, tourbières).

Le gouvernement indonésien a donc mis les bouchées doubles pour utiliser son huile localement, avec une obligation de mélange de 35 % dans le gasoil, et un objectif de 1 % de biocarburant dans le carburant utilisé pour les avions d’ici 2027. Une stratégie qui permet de réduire la dépendance du pays aux importations de pétrole et de décarboner une industrie largement basée sur le charbon.

[1] Dans le cadre de la directive sur les énergies renouvelables « Red II », l’UE a décidé que le biocarburant à base d’huile de palme n’entrerait pas en compte dans ses objectifs concernant l’utilisation d’énergies renouvelables en 2030, ce qui devrait aboutir à restreindre son usage.
[2] Renewable Fuel Standard


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