Après la Croatie, l’Écosse, l’Angleterre, le Danemark et le sud de la France, Joseph Lofthouse a posé ses valises en Bretagne le temps d’une conférence qui s’est tenue au lycée de Suscinio, à Morlaix (29). Il est accompagné de Thomas Picard, organisateur de l’évènement et traducteur technique pour la soirée. Pieds nus sur scène et large sourire au visage, cet Américain démarre sa présentation en abordant ses origines. « J’ai grandi dans une vallée près de montagnes, ma famille s’est installée là il y a 160 ans », introduit-il. De ces sommets qui culminent à 2 000 m, « de l’air froid descend et gèle les plants. Ici, il neige 5 mois de l’année, il n’y a que 3 mois sans gel ». Cette description météorologique à faire froid dans le dos est celle de Paradise, petite ville (bien nommée ?) de l’Utah posée entre les Montagnes Rocheuses. L’été, le thermomètre frôle les 40 °C le jour, pour redescendre à 10 °C la nuit. Enfin, il faut se contenter de 250 mm de pluie chaque année. Mais alors, comment réussir à faire pousser des végétaux et à construire une agriculture sur des terres qui semblent bien peu propices à cette activité ? « J’ai un diplôme de chimiste, j’ai travaillé dans le monde des pesticides. Ma famille utilisait de la chimie et des fertilisants pour faire pousser du maïs, c’est une chose à laquelle j’ai renoncé. Mais quand je suis revenu pour cultiver ces terres, cela n’a pas marché quand on enlevait cette chimie. C’est alors que j’ai rencontré un fermier de l’Indiana qui m’a parlé des variétés populations. Elles ont fonctionné chez moi à 100 % ». Le fermier pense à juste titre « qu’il est plus simple de changer la génétique des plantes par une pollinisation débridée que de modifier son sol ou le climat. Je n’ai pas eu à contrôler la nature, c’est elle qui fait le travail. J’appelle cela de l’agriculture d’adaptation ».
La 3e année : année magique
Le melon a été la 1re espèce cultivée sur la terre des ancêtres de l’intervenant. « J’ai rassemblé une trentaine de variétés, la plupart sont mortes. Mais l’écosystème a trouvé 80 % de la solution, j’ai gardé les graines des quelques melons qui avaient survécu pour les replanter la saison suivante ». Lors de ce second essai, quelques plantes ont mieux poussé, certaines étant chétives, d’autres énormes. « 2 plants ont produit plus de fruits qu’une centaine ». En laissant de nouveau passer un hiver et en replantant la 3e année, « on obtient l’abondance, c’est une année magique. J’ai gardé des semences de plants qui avaient survécu aux gelées. Ces plants de melon sont aujourd’hui plus grands que moi ».
Même constat sur une culture de carottes, qui n’a pas été désherbé la première année, mais qui n’a donné presque aucune récolte. Puis, au fil du temps, on peut obtenir « un jardin idéal : on plante, on ne désherbe pas, on récolte. Je suis un peu paresseux », avoue l’Américain. Sur des tomates, « ça n’a pas fonctionné : ce sont des plantes autogames qui ont perdu 95 % de leur diversité génétique ». Face à cet échec, il s’est rendu dans la cordillère des Andes, puis a ramené un plant du Pérou « qui a conservé cette diversité génétique ». Sortent désormais des tomates avec des saveurs très variées de mandarine, de goyave, ou plus surprenant de poisson. Aussi et tout aussi fascinant, quand les racines de certains de ces végétaux sont analysées « en laboratoire, on décèle la présence de bactéries fixatrices d’azote », comme dans une symbiose rencontrée chez les légumineuses. Ses critères principaux de sélections sont la capacité à faire des graines en abondance, « et un goût qui doit être incroyable. Je goûte chaque fruit avant d’utiliser ses graines ». Le jardinier vend sa production sur les marchés d’outre-Atlantique. « Mes clients adorent ma diversité de produits et de goûts ».
Aïe à l’ail
Hormis 200 mm d’irrigation en été, rien n’est apporté sur les terres, « il n’y a pas d’apports de fumier ni de compost. Il n’y a pas non plus de labour ». Sur les 4 000 m2 de la ferme, une centaine d’espèces cultivées cohabitent, « je préfère planter en plein champ que sous abri ». Mais même avec des attaques d’insectes, de maladies ou de virus, il positive. Ces agresseurs extérieurs « sont les bienvenus, ils apprennent à mes plantes à survivre ».
Si tout peut paraître si simple, quelques petites ombres se profilent tout de même à ce tableau cultural. « Il y a des limites, comme des haricots qui se sont tellement bien acclimatés à ce système qu’ils sont devenus invasifs. Désormais, je les sélectionne pour qu’ils poussent seulement à 1 m de hauteur ». Une autre espèce qui donne du fil à retordre : l’ail, « car il est difficile d’en obtenir des graines, et seulement 5 % d’entre elles germent ».
On pourrait traduire le nom de ce cultivateur par « maison-grenier », ça ne s’invente pas… Et cette réserve à grain est bien remplie de semences, « je les conserve quand elles sont bien sèches entre 2 et 10 ans, ou au réfrigérateur et même au congélateur. Vous avez énormément de graines en France, achetez celles qui sont les plus locales », conseille-t-il, en conclusion.
Fanch Paranthoën
Un livre sur les semences paysannes métissées
Dans son livre « Landrace Gardenning » ou dans sa version traduite « Semences paysannes métissées », Joseph Lofthouse explique son cheminement, son pari sur la diversité génétique et la pollinisation croisée pour développer ses propres populations végétales.