Étienne Simon et Benoît Legros ont opté pour la traite robotisée en 2013. « Une manière d’anticiper nos fins de carrière et de rendre les conditions de travail attractives afin de garder longtemps un salarié. Cela s’est accompagné d’un agrandissement de troupeau permettant justement d’amortir une embauche à temps plein. » L’élevage vient de livrer 1,38 million de litres de lait sur la dernière campagne. Dans une stabulation à 106 logettes, le nombre de vaches en production oscille entre 105 et 110. « Pas plus ». De la sorte, les deux stalles automatisées présentent environ 10 % de temps libre. « Quand le bâtiment est plus chargé, nous n’avons pas plus de lait et certaines vaches passent moins à la traite. C’est alors un engrenage qui oblige à gérer les retards. Notre philosophie est plutôt de ne pas pousser les animaux », explique Étienne Simon qui suit le troupeau avec la salariée Marine Peudenier, tout deux animaliers.
Des biscuits dans la ration à l’auge
Préparée à l’automotrice, la ration de base (en MS / VL / jour) est composée de 13,5 kg de maïs ensilage, 2,4 kg de méteil, 3,5 kg de tourteau de colza, 2,2 kg de biscuits, 350 g de minéraux (dont 50 g de sel). Au robot, les animaux reçoivent du tourteau de soja et du Milurex (drèche de blé en bouchons) : « La distribution est programmée pour augmenter du vêlage jusqu’au 50e jour de lactation, puis indexée sur la production avec un maximum quotidien de 2 kg de soja et 4 kg de Milurex. »
Les biscuits sont achetés à un négociant (Margaron). « Ce sont des produits non commercialisables récupérés et sortis de leur sachet dans des usines de l’Ouest. » Leur prix, indexé sur celui du blé, est de l’ordre de 260 à 270 € / t livrée. Côté valeur alimentaire, ils titrent 1,4 UFL / kg de MS. « Les 9 % de matière grasse permettent de concentrer la ration en énergie en évitant l’usage d’huile de palme. »
Des matières premières livrées par 30 t
Sous-produit de la fabrication d’éthanol, la drèche de blé est utilisée depuis 10 ans. « Longtemps, nous la recevions humide, à 40 % de MS, et la stockions en silo. Le tarif était imbattable mais c’était contraignant en termes de travail », précise le Brétillien. « Aujourd’hui, avec ce produit sec en bouchons, fabricants d’aliments qui l’incorporent dans leurs formules et éleveurs se retrouvent en concurrence pour l’obtenir… »
Drèche de blé et tourteaux de colza ou de soja sont réceptionnés par camion de 30 t et stockés à plat dans l’ancienne stabulation. « C’est simple. Je les commande par l’intermédiaire d’un courtier et j’affrète un transporteur pour ramener la livraison depuis Montoir ou Rouen. » Étienne Simon reçoit les cotations tous les jours. « Je contractualise six mois à un an à l’avance pour bénéficier de prix avantageux. Souvent, cela permet une économie de 15 à 20 € / t. Parfois, nous faisons de très bon coups. » Le paiement s’effectue à la livraison. « Le seul défaut de cette approche est qu’on sanctuarise la ration. »
Deux tourteaux sont utilisés « pour varier les sources ». Le colza – « intéressant pour sa richesse en phosphore et mieux adapté pour les taries » – est préféré à l’auge. Le soja, plus appétent, distribué au robot.
Première année en 100 % méteil
Historiquement, les associés cultivaient du RGI en dérobée en plus de 8 ha dédiés à la fauche pour remplir deux silos d’ensilage d’herbe. « Sur la parcelle de fauche, selon les conditions, nous faisions trois à cinq récoltes par an, toutes les quatre ou cinq semaines… Mais quand on fait plein de coupes, à l’arrivée, on ne sait plus ce qu’on distribue aux vaches », estime Étienne Simon. L’année dernière, les surfaces d’ensilage d’herbe ont été réduites de moitié au profit d’un test de méteil fourrager. Cette année, le RGI en dérobée a été abandonné : les silos ont été remplis d’ensilage de méteil réservé aux vaches en production. « L’intérêt est de tout rentrer en une seule récolte printanière. Et, en théorie, d’obtenir un produit plus riche en protéines… » Par ailleurs, de l’enrubanné rotocuté à destination des génisses a été réalisé pour ramasser les surplus d’herbe et nettoyer les prairies.
Pour ce méteil « laitier », le mélange implanté fin octobre – après maïs et blé – est du M-Bapé (Cérience) associant seigles, vesce velue et trèfles. « Comme un RGI, il n’y a aucun travail entre le semis et l’ensilage. » Cette dérobée fourragère est à récolter au plus tard au 10 – 15 avril, insiste l’éleveur. « Avec 40 ha de méteil, on ne doit pas se louper. Dès qu’une fenêtre météo s’ouvre, il faut y aller, quitte à avoir un peu moins de rendement pour préserver la qualité. » Le fourrage (30 cm de haut environ) est fauché à la conditionneuse et ramassé deux jours plus tard. « On considère que le rendement est 1,5 fois plus élevé qu’un RGI. » L’intérêt du méteil est également agronomique en faveur d’une meilleure structure de sol pour le maïs derrière. « Seul défaut, le prix de la semence de l’ordre de 170 € / ha. » Côté valeur, pour une récolte « normale voire mauvaise avec le manque de chaleur du printemps dernier », l’ensilage à 21 % de MS titre 17 % de cellulose, 16 % de MAT, 68 g de PDI et 0,88 UFL / kg MS. « Le point fort est aussi une digestibilité de la matière organique (dMO) de 70. » Le produit se conserve bien et s’avère très appétent.
Comme ce nouvel ingrédient de la ration est relativement humide, « pour éviter une soupe à l’auge », les dates d’ensilage de maïs (technique shredlage) ont été reculées de 10 jours « Habituellement, nous cherchions 31 – 32 % de MS. Désormais, nous visons 35 – 36 %. » Question maïs, les éleveurs parient sur des variétés à forte digestibilité d’indice 280 : celles qui donnent satisfaction (comme Maréchal, Hermeen, Sy Anfora…) sont réutilisées.
Les charges grimpent mais l’EBE progresse
Depuis plusieurs années, le niveau d’étable est stable, entre 11 400 à 11 900 kg de lait / VL / an (35 à 37 kg / jour). Étienne Simon se souvient que le coût alimentaire se situait à 125 € / 1000 L au lancement des robots en 2013. « Avec l’explosion du prix des matières premières, il est monté à 196 € en 2023. » Sur la dernière campagne laitière, il se situe à 175 € / 1000 L. En 10 ans, les données ont bien changé. « Les charges ont monté mais nous produisons plus de lait. » Hier, la SCEA livrait 800 000 L de lait payé à 320 € / t contre près de 1,4 million à 456 € / t aujourd’hui. « Le chiffre d’affaires a beaucoup augmenté et surtout l’EBE n’a fait que grimper : dès 2020, il a dépassé les 200 000 € pour atteindre 250 000 € aujourd’hui. » Derrière les résultats économiques de ce « rythme de croisière », les associés ont aussi trouvé leur équilibre : « Nous ne sommes pas débordés et le travail est agréable. Nous gérons le quotidien tout en conservant de la réserve pour faire face aux imprévus. » Une bonne maîtrise de l’alimentation est notamment « primordiale », sinon c’est « la porte ouverte à toutes sortes de difficultés » qui se paient en temps de travail et baisse de la rentabilité, estime le Brétillien. Dans cette optique, le nutritionniste Anthony Baslé (Eilyps) passe trois fois par an pour apporter un regard extérieur et « trancher ».
Toma Dagorn
CARTE DE VISITE : • Deux gérants, une salariée ; • 153 ha ; • 135 vaches laitières.
Resigner pour une mélangeuse automotrice
La mélangeuse automotrice a été renouvelée il y a six ans. « À l’époque, nous nous sommes posé la question du robot d’alimentation. Nous étions en recherche d’un salarié et nous avons eu peur de la charge mentale du démarrage d’un nouveau système au moment d’un creux de main-d’œuvre. »Le devis pour une automotrice neuve de 15 m3, les associés ont finalement profité de reprendre, une machine de démonstration (Faresin) de 22 m3 présentant 50 heures au compteur. « Avec du recul, c’était la bonne option, notamment pour pouvoir préparer des rations volumineuses », explique Étienne Simon. « Au départ, nous avons craint à tort que le système à double-vis ne soit pas bien adapté pour l’élaboration trois fois par semaine de petits mélanges pour taries et animaux en préparation au vêlage. » Avec du recul, les associés estiment que l’investissement est du même ordre pour un automate d’alimentation ou une automotrice. « Flexible, notre machine a aussi des avantages : vitesse d’exécution, qualité de mélange, interchangeabilité du chauffeur, reprise directe des produits stockés à plat… »
Bol d’air et sol caoutchouc
De mars à octobre, de 8 h 30 à 17 h (ou le soir en cas de canicule), les vaches traites ont accès à 8 ha de prairie organisés en grands paddocks. « Cela a peu d’incidence sur la ration car elles pâturent peu. Mais les sorties sont bénéfiques en termes de bien-être animal, de santé des pattes et de vitamine D. » Les animaux sont libres d’aller à l’herbe. « Cela dépend avant tout de la météo. Un jour à 18 °C sans vent, tout le monde est dehors. Avantage : les logettes ne sont alors entretenues qu’une fois. Mais s’il fait chaud, le troupeau reste à l’intérieur », détaille Étienne Simon.Les vaches semblent vieillir de mieux en mieux, estime l’éleveur, grâce à « un bâtiment de plus en plus adapté ». Il y a trois ans, les sols ont été couverts de tapis (Ph. Déru). « Un modèle garanti antidérapant. Du jour au lendemain, pour 30 000 €, cet investissement a changé notre vie. » Auparavant, il y avait une certaine « anxiété » quand des animaux venaient en chaleur. Tous les ans, il fallait en compter trois ou quatre écasillées. « Une vache au sol est la pire situation. Nous en avons perdues, y compris une primipare de 23 mois. C’est alors un dommage financier subi mais aussi un profond sentiment d’échec ressenti en tant qu’éleveur. »