Les Chambres d’agriculture, telles qu’on les connaît aujourd’hui, sont nées officiellement en 1924, portées par un élan collectif pour organiser, moderniser et guider le monde paysan. La Première Guerre mondiale a en effet révélé les faiblesses structurelles de l’agriculture française, notamment en matière de coordination et d’innovation.
Mais l’histoire des Chambres d’agriculture s’ancre bien plus loin, dans les riches terres intellectuelles du XVIIIe siècle et dans les champs fertiles (bretons, entre autres) où la réflexion agronomique a commencé à bourgeonner bien avant la Révolution française.
La Bretagne des Lumières
En 1757, la Société d’agriculture, de commerce et des arts de Rennes voit le jour, avec la bénédiction des États de Bretagne. Cette institution, typique de l’époque des Lumières, n’est pas seulement un club de gentilshommes épris de modernité ; elle est un véritable laboratoire d’idées. Ses membres – noblesse terrienne, ecclésiastiques cultivés et bourgeois éclairés – cherchent à améliorer la production agricole au travers de l’expérimentation.
Imaginons ces hommes de lettres, ces seigneurs de manoirs bretons, coiffés de tricorne, devisant autour de parchemins griffonnés de diagrammes : « Et si la culture de la pomme de terre était la clé pour lutter contre la famine ? ». Dans les salons de Rennes ou au cœur de la Bretagne, l’expérimentation s’organise. On parle fumure, rotation des cultures, drainage des prairies naturelles, introduction de nouvelles cultures comme le trèfle violet.
La voix des campagnes
Après les soubresauts de la Révolution et de l’Empire, les Sociétés d’agriculture continuent d’exister mais peinent à rassembler. Les paysans, méfiants, regardent d’un œil sceptique ces initiatives venues de villes. Pourtant, les bases sont posées : des concours agricoles apparaissent, où l’on récompense la plus belle vache ou le champ le mieux labouré. L’agriculture bretonne, encore enserrée dans un monde traditionnel, amorce lentement sa transformation.
Les premières fermes écoles, comme celle de Trévarez (1847), voient le jour sous l’impulsion des nobles revenus à la terre. Ces lieux, pionniers en matière d’éducation agricole, marquent une nouvelle étape dans la professionnalisation de l’agriculture bretonne.
La profession s’organise
À partir des années 1900, c’est l’organisation professionnelle qui va devenir prédominante. Il s’agit de s’assurer contre les risques, de mieux acheter et de mieux vendre, de mieux se financer et surtout de s’unir afin de mieux se défendre face à l’État et aux autres secteurs économiques. C’est l’époque de l’émergence des syndicats locaux qui, progressivement, se fédèrent pour former les coopératives, les mutuelles.
Dans les années vingt, les premières réunions préparatoires à la mise en place des Chambres d’agriculture, comme celle de Morlaix en 1920, ont marqué les étapes clés de leur mise en place en Bretagne. Selon l’adage « embrasser son rival revient à mieux l’étouffer », les responsables des associations corporatistes d’inspiration chrétienne – comme l’Office Central (OC) de Landerneau – s’organisent pour placer leurs candidats à la tête de l’organisme consulaire qui deviendra l’interlocuteur officiel entre la profession et l’État. C’est ainsi que Hervé Budes de Guébriant à la tête de l’OC de Landerneau occupe le poste de premier président de la Chambre d’agriculture du Finistère de 1927 à 1959, soit 32 années consécutives.
Toujours éclairée ?
Au fil des décennies, les Chambres d’agriculture de Bretagne s’imposent comme acteur majeur de progrès technique et économique au travers des journées de vulgarisation et du conseil individuel aux agriculteurs. Politiquement, l’instance est une tribune pour des responsables professionnels qui comptent, ou veulent compter, dans le paysage breton. À tout niveau, les Chambres accompagnent la révolution agricole des Trente Glorieuses, le développement des coopératives laitières et l’émergence de la filière porcine, qui font aujourd’hui la renommée de la région.
Cent ans après avoir été portées sur les fonts baptismaux, les Chambres d’agriculture du XXIe siècle sont-elles encore éclairées par les Lumières et résonnent-elles toujours de la voix des agronomes visionnaires du XVIIIe ? « Notre force, c’est de regarder loin sans oublier nos racines », disait récemment en écho un jeune agriculteur en recevant une récompense pour une innovation.
Didier Le Du