Présentée depuis plusieurs années comme la solution incontournable pour réduire l’utilisation des herbicides en traitant uniquement les mauvaises herbes, la pulvérisation ciblée peine à se développer dans l’Hexagone. Cette nouvelle technologie basée sur la détection des adventices par l’intermédiaire de caméras est proposée par plusieurs constructeurs de pulvérisateurs. Mais ceux-ci l’ont réservée jusqu’à présent à des appareils neufs haut de gamme. Les premiers utilisateurs sont ainsi des ETA ou des exploitations avec des cultures spécialisées (oignons, ail, semences…), capables de rentabiliser leur investissement sur de grandes surfaces.
À réserver à des pulvérisateurs récents
Le ticket d’entrée dans la pulvérisation ciblée peut toutefois être abaissé en optant pour le rétrofit, qui consiste à adapter la technologie sur un pulvérisateur existant en le modernisant. « Notre solution Smartstriker est accessible en rétrofit sur n’importe quelle marque de pulvérisateur pour environ 3 000 euros le mètre de rampe, un montant qui varie en fonction de la configuration de l’appareil », avance Victor Barbotin, inspecteur commercial chez Carbon Bee, société française la plus en vue sur le secteur de la pulvérisation ciblée. « Il faut quand même réserver le rétrofit à des matériels récents, dont la stabilité de rampe est irréprochable pour garantir une hauteur constante, avertit Caroline Desbourdes. Attention aussi au système de régulation, qui n’offre pas toujours la réactivité suffisante pour absorber les consignes issues du système de détection. »
L’équipement Carbon Bee comprend des caméras (de type RGB et hyperspectrale) installées tous les trois mètres sur la rampe, capables d’analyser une zone de 4 à 5 m de large et de 1 à 4 m à l’avant de la rampe. Elles sont reliées, par groupe de quatre à huit, à des petits boîtiers, eux-mêmes connectés à un contrôleur principal intégré dans le cadre central. Les instructions issues de l’analyse des images sont envoyées en temps réel au boîtier de régulation du pulvérisateur en liaison Bus Can ou Isobus.
Des vitesses de travail jusqu’à 25 km/h
« Dix fois par seconde, s’enchaînent l’analyse de l’image issue de la caméra, le classement des plantes par l’intelligence artificielle et la décision d’ouvrir ou de fermer la buse dans la zone concernée, explique Victor Barbotin. En utilisant des porte-buses PWM dont la réactivité d’ouverture/fermeture est de trois dixièmes de seconde, notre système peut fonctionner à plus de 25 km/h. En moyenne, c’est autour de 18 km/h que l’on trouve le meilleur compromis entre l’efficacité du ciblage et le débit de chantier. » Sauf dans les rares cas où le pulvérisateur en est déjà doté, il faudra donc l’équiper de porte-buses PWM (Pulse Width Modulation, pour modulation de largeur d’impulsion). Ceux-ci ont comme particularité d’intégrer un solénoïde contrôlant l’ouverture et la fermeture de la buse à une fréquence stabilisée, variant de 20 à 50 hertz selon les dispositifs. En d’autres termes, la buse s’ouvre et se ferme de 20 à 50 fois par seconde. Outre la coupure individuelle, le PWM offre aussi une modulation de dose à la buse, en faisant varier la durée d’ouverture au sein d’un cycle d’ouverture-fermeture.
Le porte-buses PWM fortement conseillé
« En plus de sa grande réactivité pour l’ouverture/fermeture des buses, le PWM simplifie la mise en œuvre de la modulation de dose à la buse, en comparaison aux porte-buses à sélection automatique. Lors des premiers désherbages, il permet par exemple d’appliquer une dose de fond sur toute la largeur de rampe et d’augmenter la dose sur les zones les plus infestées », détaille Francois-Xavier Janin, chez France Pulvé. Une approche que nuance toutefois Caroline Desbourdes. « N’y a-t-il pas un risque de décrédibiliser cette technologie prometteuse en opérant avec des traitements sur toute la surface ? Cela complexifie aussi le choix des doses d’herbicide, au risque d’aboutir à des sous-dosages ou des surdosages selon les zones. »
Peu de montages rétrofit commercialisés
Sur le marché français, l’offre en solutions complètes pour le rétrofit est encore très restreinte. Les constructeurs de pulvérisateurs tardent à proposer leurs propres kits de seconde monte. À l’échelle mondiale, Carbon Bee fournit son Smart- striker à plusieurs équipementiers comme Teejet, Capstan, BBLeap, mais cela ne concerne que quelques concessionnaires en France. Autre acteur qui se fait attendre en Europe, l’équipementier Precision Planting réputé pour ses rétrofits de semoirs, sera en mesure de proposer sa solution de pulvérisation ciblée Symphony Vision.
L’initiative la plus concrète en France reste celle d’Optima Concept. « La solution XeBee combine l’équipement de Carbon Bee avec notre propre système de porte-buse PWM baptisé SRP, qui comprend également une circulation continue à pression constante. Le tarif de cet ensemble approche les 4 000 euros par mètre de rampe, dont 800 à 900 euros sont dédiés au système SRP », expose Luc Lahy, directeur commercial de l’entreprise. Une facture qui peut s’alourdir si Optima Concept doit monter des capteurs à ultrasons sur la rampe, pour garantir le maintien de sa hauteur.
Au final, la seconde monte est plus ou moins abordable, selon les équipements déjà installés sur le pulvérisateur. « Le rétrofit donne la possibilité à l’agriculteur de moderniser son appareil par étapes et ainsi de lisser son investissement. C’est aussi un moyen de s’approprier la technologie du PWM avant de faire le pas vers la pulvérisation ciblée », relativise Luc Lahy.
Michel Portier
Chiffres :
- 60 à 70 % d’économie d’herbicides foliaires observée en moyenne par les premiers utilisateurs français.
- 10 ans d’expérience depuis les débuts de la pulvérisation ciblée.
- 0,5 à 1 cm de diamètre. C’est la taille minimale des adventices détectées par les caméras Carbon Bee.
- 3 000 € par mètre de rampe équipée de la pulvérisation ciblée.
Deux modes de détection des adventices
Dans certaines fermes d’Australie, des États-Unis voire d’Europe de l’Est traitant des milliers d’hectares, la pulvérisation ciblée peut se rentabiliser uniquement par les économies de glyphosate qu’elle procure. Le système utilise, dans ce cas, le mode de détection « vert sur marron », le plus simple et le plus efficace pour discriminer les adventices dans un chaume. La donne est bien différente pour les structures d’Europe de l’Ouest, dont le poste glyphosate ne suffit pas à justifier l’investissement. Les équipementiers ont ainsi mis au point un mode « vert sur vert » de façon à différencier les adventices de la culture en place et ainsi agir sur les doses d’herbicides sélectifs. Au fil du temps, les algorithmes se sont affinés pour de nombreuses cultures (une vingtaine chez Carbon Bee), grâce à l’auto-apprentissage par l’acquisition des données. Le retour sur investissement est très dépendant du niveau de salissement des parcelles, l’économie d’herbicide se faisant davantage sur les rattrapages, que sur les premiers désherbages.
Un désherbage localisé moins précis, mais moins cher avec le drone
La pulvérisation ciblée peut aussi se pratiquer en utilisant un drone pour identifier et cartographier les adventices. Le pulvérisateur traite ensuite uniquement les zones délimitées.« Cette méthode en différé a l’avantage de limiter l’investissement sur le pulvérisateur. Elle simplifie aussi la préparation de la bouillie en connaissant à l’avance le volume à appliquer, contrairement à la méthode en temps réel. Il faut s’assurer que la régulation et la coupure de tronçons soient suffisamment réactives. Selon la lourdeur de la carte de préconisation, certaines régulations imposent trop de délais de traitement, compromettant la précision du spot, analyse Caroline Desbourdes. L’action en deux temps impose aussi une très grande précision de positionnement. Le drone, comme le tracteur ou l’automoteur, doit donc être équipé d’une antenne RTK. » Plusieurs constructeurs de pulvérisateurs se sont lancés dans cette voie, à l’image d’Amazone, Tecnoma, Kverneland… Mais les promoteurs de la méthode en temps réel lui reprochent certaines limites. « Une prestation de vol de drone à prix acceptable n’offre pas le même niveau de détection que les caméras sur la rampe. Sans compter que, dans certains départements, les zones d’exclusion de vol sont nombreuses. Le temps de retraitement des cartes peut imposer un délai important avant le passage du pulvé et la compatibilité des cartes reste un point de vigilance », considère François-Xavier Janin.