La « jette société », ce n’est pas vraiment sa tasse de thé. Architecte de formation, Sarah Fruit a débuté sa carrière professionnelle dans une agence. Mais certaines pratiques interrogent alors la jeune femme pour qui le métier d’architecte ne saurait se limiter au quoi construire sans questionner le comment. « Sur nos chantiers, il nous arrivait de jeter des matériaux alors que dans le même temps nous recommandions ces mêmes matériaux pour d’autres projets ».
Lasse de ce gâchis, elle décide de se lancer et de créer une structure en accord avec ses convictions. Bâti Récup voit ainsi le jour en 2016 avec deux missions principales : « Créer des ponts entre l’offre et la demande de matériaux issus de la déconstruction. Et fédérer les acteurs locaux de la démolition et de la construction pour structurer et faire grandir la filière du réemploi en Bretagne ». Rapidement, le collectif associatif se transforme en une véritable aventure entrepreneuriale sous l’impulsion de la Région Bretagne, de l’Ademe, de Rennes Métropole et de Saint-Brieuc Armor Agglomération qui confient à Bâti Récup ses premiers projets d’envergure.
Innovant, écologique et solidaire
« Le domaine du BTP est à l’origine de 70 % des déchets en France, rappelle Sarah Fruit. Mais le réemploi des produits et matériaux de construction demeure peu répandu. Il est donc nécessaire d’ouvrir les métiers du bâtiment à cette alternative à la fois innovante, écologique et durable ».
Très concret, le réemploi peut se traduire de multiples manières. Sur le chantier de déconstruction de l’Hôtel Pasteur à Rennes, des radiateurs en fonte ont ainsi été démontés, nettoyés soigneusement, remis à neuf et garantis avant d’être installés dans de nouveaux projets. Parfois, la vocation initiale du produit est détournée. Des garde-corps présents dans des tours démolies à Saint-Brieuc se sont mués en arceaux à vélo avec le concours d’un Établissement et service d’accompagnement par le travail (Esat). D’anciens lavabos en inox ont, eux, entamé une nouvelle vie en pleine lumière, une fois transformés en luminaires.
Encore faut-il avoir, au préalable, identifié les matériaux d’intérêt, organisé l’opération de déconstruction, stocké les éléments, imaginé les débouchés… Autant d’étapes que Bati Récup maîtrise parfaitement. Installée depuis 2023 dans les locaux des Halles en commun, sur un ancien site industriel au cœur du quartier rennais de la Courrouze, la structure couvre l’ensemble du spectre. « Outre le bureau d’études spécialisé qui accompagne les bailleurs collectifs et les promoteurs dans leurs projets de réemploi, réalise des diagnostics et assure des formations, nous proposons, sur le même site une plate-forme logistique inter-chantier de stockage tampon pour une durée de 6 mois à 2 ans, un dépôt-vente ouvert aux particuliers et aux professionnels, un show-room présentant les différents matériaux et produits disponibles. Et à compter de fin janvier, nous aurons un catalogue en ligne ».
Un « coût de pousse » décisif
Pour Bati Récup qui emploie actuellement trois personnes, l’enjeu est désormais de « massifier le réemploi des matériaux en transformant une pratique marginale en un réflexe évident pour tout le secteur de la construction. Le bureau d’études a déjà trouvé son rythme de croisière, note Sarah Fruit. Maintenant, pour pérenniser le modèle économique de l’ensemble, il faut que la plate-forme de stockage monte en puissance ». Avantageux, le prix des matériaux de réemploi devrait accélérer le décollage. Dans un contexte économique chahuté, ce « coût de pousse » du bâtiment pourrait s’avérer décisif !
Jean-Yves Nicolas
En savoir plus : www.batirecup.com
Un impact fort
Opinion – Karine Blanc – Directrice du fonds de dotation PhiNOE
PhiNOE, le fonds de dotation d’Arkéa Capital, a apporté son soutien à Bâti Récup en l’accompagnant à la fois par un prêt d’honneur de 10 000 euros et une subvention de 5 000 euros. Nous sommes convaincus de l’intérêt de ce projet et de son fort impact territorial et environnemental. Bâti Récup est la première plateforme de réemploi de matériaux de BTP en Bretagne. Et son rôle ne se cantonne pas à ce seul aspect, puisque son bureau d’études mène également des actions de sensibilisation auprès des différents acteurs, et notamment les architectes, afin de favoriser l’utilisation des matériaux issus de la déconstruction et ainsi contribuer à la décarbonation du secteur du bâtiment.