« Une journée sans breton est pour moi une journée de perdue ». Heureusement, Hervé Lossec a la possibilité, dans son environnement, de pratiquer sa « langue de cœur » quasiment au quotidien. Et les rares fois où ce n’est pas le cas, il appelle au téléphone l’un de ses copains bretonnants pour se rattraper.
Cet attachement à la langue est le fruit de son histoire personnelle. Né dans une famille d’agriculteurs de Lesneven, le jeune Hervé ne parle que le breton jusqu’à ses cinq ans et demi. Aîné des garçons d’une fratrie de sept enfants, il est destiné à reprendre la petite exploitation familiale. Durant trois ans, il fréquente les bancs de l’établissement du Nivot où il prépare son BEP agricole, diplôme qui permet alors de s’installer. Puis, son précieux sésame en poche, il travaille pendant deux ans aux côtés de ses parents, comme aide familial. Le temps pour lui de comprendre qu’il n’est « pas fait pour ce métier ». Et même le flamboyant tracteur Renault D22 orange acheté par son père ne parviendra pas à le convaincre de revenir sur sa décision.
Parachutiste agricole
« Le Crédit Mutuel de Bretagne de l’époque embauchait à tour de bras. Il vous recrutait sur votre bonne mine, sur la réputation de votre famille ». Après six mois de formation aux métiers du para-agricole à Landerneau – « nous étions surnommés les parachutistes agricoles » –, voici notre homme nommé caissier dans une agence locale. « Le contact avec la clientèle me plaisait, j’aimais pouvoir discuter. Dans ce métier, j’ai rencontré de sacrés personnages ». Et collecté, au passage, nombre d’anecdotes qui, bien des années plus tard, fourniront la riche matière première de « Perles de banquiers ».
À 51 ans, je suis retourné à l’école pour réapprendre ma langue maternelle
Appelé sous les drapeaux, le Finistérien retrouve, 16 mois plus tard, la vie civile et son emploi au CMB. Mais sa nouvelle affectation, au traitement des cartes perforées pour le service de mécanographie – l’ancêtre de l’informatique –, ne l’emballe guère. Après deux jours d’activité, le Lesnevien démissionne. Il intègre alors une entreprise spécialisée dans le jardinage et les clôtures. Quand celle-ci, deux ans plus tard, dépose le bilan, il choisit de se lancer et reprend la société, à 22 ans, « dans l’insouciance la plus complète ». L’affaire se développe et se diversifie dans les fermetures à l’arrivée du PVC. « Cela marchait bien, nous sommes passés de 8 à 25 salariés ». L’année de ses 50 ans, son associé lui fait une offre de reprise. Et c’est ainsi que, du jour au lendemain, Hervé se retrouve… avec beaucoup de temps libre. Pratiquant assidu de sport, il en profite pour assouvir sa passion, s’investir aussi davantage dans des clubs. Et également réaliser un rêve qui, depuis longtemps, lui trotte dans un coin de la tête : lire et écrire en breton. « À 51 ans, je suis donc retourné à l’école pour réapprendre ma langue maternelle. Et ce alors même que je n’avais jamais quitté ma région… » Un constat qui souligne combien la transmission de la langue a été délicate pour toute la génération de Bretons nés après-guerre.
Du goût vous aurez !
Après une formation intensive de 6 mois chez Stumdi, il poursuit sur sa lancée et entame des études supérieures à la faculté de Brest. En 2002, poussé par l’un de ses enseignants, il écrit son premier ouvrage, « un livre consacré à la pratique du jeu de domino dans le Léon. Un prétexte pour recueillir des expressions locales en breton ! »
Démarrée sur le tard, sa carrière littéraire va vite prendre de l’ampleur. Auteur prolixe, le Léonard compte, à 77 ans, une trentaine d’ouvrages à son actif, dont près de la moitié écrits en breton. Son plus grand succès à ce jour reste « Les Bretonnismes » dont la diffusion a dépassé les 300 000 exemplaires. Le terme, qui désigne une tournure propre à la langue bretonne passée dans la langue française, a fait son entrée en 2015 dans le dictionnaire Le Petit Robert. Une vraie consécration. Mais, à ses yeux, la plus belle récompense reste ces lecteurs qui ont retrouvé la fierté du breton et se sont mis à l’apprendre ou à le réapprendre. Alors, si vous ne les avez pas encore lus, n’hésitez pas. Avec « Les Bretonnismes », du goût vous aurez, c’est sûr !
Jean-Yves Nicolas
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