Mexique et Canada : l’impossible divorce américain

Les USA et ses voisins sont trop interdépendants pour imaginer fermer leurs frontières aux flux agricoles.

Une carte des USA, Mexique et Canada avec des punaises aux couleurs des drapeaux respectifs - Illustration Mexique et Canada : l’impossible divorce américain
Fort de ses ressources énergétiques, DonaldTrump peut faire plier beaucoup de pays à ses exigences. Mais les taxes douanières au Canada et au Mexique peuvent être lourdes de conséquences sur l’agriculture américaine. | © Rokas - stock.adobe.com

Donald Trump est un homme d’affaires avant d’être un président, et comme son homologue chinois Xi Jinping, il sait manier l’arme commerciale. En fin négociateur, il agite le plus gros chiffon rouge possible pour garder de grosses marges de manœuvre dans les discussions. Mais, depuis sa précédente investiture, les liens avec ses deux voisins n’ont cessé de se développer, ce qui fait des taxations agricoles une arme à double tranchant.

Le Mexique est sans doute le pays le plus exposé aux taxations, mais aussi le plus indispensable. Aujourd’hui, il constitue le premier débouché pour le maïs et ses drèches, le blé, le sucre, les produits laitiers, la volaille et le porc exportés par les USA. Il arrive respectivement en 2e et 3e positions pour les tourteaux et les graines de soja yankees. Les ventes de produits agricoles US y sont en nette progression depuis 2020 et ont atteint plus de 28 milliards de dollars en 2023 (16 % des ventes), talonnant la Chine (premier client avec 17 % des débouchés). Mais inversement, le Mexique est le premier fournisseur de produits agricoles de l’Oncle Sam avec 23 % de parts de marché en 2023. Les filières fruits et légumes et l’horticulture (basées sur de la main-d’œuvre bon marché) seraient les plus touchées par les taxes, entraînant une forte inflation alimentaire sur ces produits peu transformés. Les Mexicains fournissent aussi de la bière et des alcools à leurs voisins. Au total, les flux représentent plus de 36 Md € sur ce segment agricole. Théoriquement, les Mexicains ont donc plus à perdre dans les taxations mutuelles que les Nord-Américains. Mais leurs produits sont globalement à plus forte valeur ajoutée et supporteraient mieux d’être détournés vers d’autres destinations que le maïs ou le soja US. Les transports entre les deux pays se font beaucoup par train. Et sur ce terrain logistique, personne n’y gagnerait. Enfin, l’agriculture US dépend énormément de la main-d’œuvre mexicaine, ce qui en cas de trop forte rétorsion sur les flux de personnes, sera très dommageable aux productions animales américaines.

Le Mexique, premier fournisseur de produits agricoles aux USA

Le Canada est dans une situation d’interdépendance identique, ce qui rend le dossier tout aussi délicat. Il représente le 1er débouché pour les biocarburants (éthanol et biodiesel) et les produits alimentaires US ; et pointe à la 2e place pour le sucre et les produits laitiers. Au final, il cumule 16 % des ventes agricoles des USA, soit 28,4 Md $ en 2023 contre plus de 30 Md exportés. Car de l’autre côté, les Canadiens alimentent les USA en grains (céréales et oléagineux), en alimentation animale, en huile de canola et en fruits et légumes. Le canola ayant été approuvé comme éligible aux aides du secteur biocarburant par l’administration américaine, une partie des usines d’estérification ne trouvent une rentabilité qu’à transformer l’huile de canola en biodiesel… qu’ils renvoient ensuite au Canada. Les USA importent aussi beaucoup de potasse. Taxer les engrais canadiens serait donc dommageable pour les agriculteurs US et ferait de la Russie (grand fournisseur mondial), la grande gagnante sur ce terrain. Enfin, les Canadiens alimentent en électricité certains états frontaliers du nord des USA et les dernières menaces de couper l’approvisionnement montrent une fois de plus les différents leviers activables de part et d’autre.

Patricia Le Cadre, www.cereopa.fr

[1] En comparaison le Mexique et le Canada ont des PIB similaires à ceux de l’État de New York.

La vraie bataille se livre avec la Chine

Les deux plus grandes économies du monde (~44 % du PIB mondial combinés[1]), chacune dirigée par 2 hommes obstinés, se disputent la première place sur le podium. Et les enjeux sont loin du monde agricole, du côté des technologies avancées (IA, robotique). Car la Chine a appris de sa première confrontation avec Donald Trump, et a accéléré sa mutation industrielle sur des produits plus stratégiques que les chaussures ou les jouets. Les usines chinoises peuvent désormais produire des technologies haut de gamme en grandes quantités à faible coût. Aujourd’hui, le pays est le seul exportateur de panneaux solaires… Il peut aussi rivaliser avec ChatGPT d‘Open AI grâce à Deepseek. Enfin, certains fabricants chinois ont aussi déplacé des usines (notamment vers le Vietnam), pour contourner les droits de douane US.

Taxes douanières pour rembourser l’emprunt américain

Les USA restent le premier importateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires.L’inflation alimentaire qui devrait découler des taxations en jeu ne semble pas être le plus important pour le président américain.La dette publique des USA est abyssale (36 billions de dollars). Le seul paiement des intérêts va devenir le premier poste des dépenses publiques en 2025 avec plus de 1 billion $ (bien devant les dépenses militaires). Donald Trump a choisi de financer les remboursements par des taxes douanières plutôt que par l’impôt.Le timing pour imposer la puissance des États-Unis par son pouvoir économique et financier et non plus par sa force militaire, est plus favorable que lors de son précédent mandat (2017/2021). Le pays est en effet devenu le premier producteur de pétrole avec 20 % de l’or noir mondial, soit presque deux fois ce que produisent l’Arabie Saoudite ou la Russie.Il est aussi de très loin, en tête des producteurs mondiaux de gaz, avec un quart du total.Fort de ses ressources énergétiques, Donald Trump peut faire plier beaucoup de pays à ses exigences.


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