« Mon message est simple : la prévention doit être privilégiée avant tout. La chimie a des effets indésirables donc gardons-la pour quand nous en avons vraiment besoin », a martelé Jean-Yves Madec, directeur scientifique Antibiorésistance de l’Agence nationale de sécurité alimentaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Après avoir travaillé dix ans sur la maladie de la vache folle, le Breton se consacre depuis vingt ans à la recherche sur l’antibiorésistance. À l’occasion de la journée Bov’Idée de Synthèse Élevage au Rheu (35), il est intervenu sur les produits et leurs risques. « Mon métier est de m’intéresser aux effets indésirables de l’usage des antibiotiques, c’est-à-dire la résistance des bactéries. »
Les souches résistantes vite sélectionnées
Devant les éleveurs, pédicures bovins et vétérinaires, il a démarré par un peu d’histoire. « Quand la pénicilline est arrivée, c’était le miracle… Par exemple, la mortalité due aux infections du sang à Staphylocoque doré a alors chuté de 82 % à 20 %. » Au début des années 1940, aux États-Unis, 35 firmes pharmaceutiques sont ainsi engagées dans la production de masse de pénicilline. « Mais aujourd’hui, dans les hôpitaux, les Staphylocoques dorés y sont résistants à 70 %. » En fait, il faut très peu de temps pour que des souches de bactéries résistantes soient sélectionnées, a insisté Jean-Yves Madec. « Pendant 50 ans, l’industrie pharmaceutique a trouvé de nouvelles molécules antibiotiques qui fonctionnaient pendant 20 ans… » Mais le secteur a tendance à consacrer désormais ses efforts de recherche sur des traitements prescrits aux patients pour toute une vie – comme les bêtabloquants, l’insuline, les antidépresseurs… – plutôt que sur des antibiotiques administrés sur des périodes de quelques jours soit une activité beaucoup « moins rentable ».
La prévention doit être privilégiée avant tout
Dans ce contexte, le spécialiste a réaffirmé qu’il fallait un usage maîtrisé et limité des antibiotiques pour qu’ils demeurent disponibles à l’avenir. « Or, aujourd’hui, il y a des pays où les impasses thérapeutiques sont énormes. » Et d’illustrer : « Si je réalise un écouvillon rectal dans cette assemblée, je trouverai 8 % de personnes porteuses de bactéries multirésistantes. Si je fais le même test à Bangkok, en Thaïlande, ce sera 100 %. » Sur une telle population, un traitement antibiotique n’aura pas d’efficacité. « C’est pourquoi les molécules ne doivent surtout pas être utilisées systématiquement en curatif. » En santé animale comme en santé humaine. « S’il y a 30 vaches boiteuses dans un troupeau par exemple, il faut chercher une autre approche que le traitement. » Il y a d’autres solutions et pratiques à mettre œuvre ou à revoir comme l’hygiène, la biosécurité, la maîtrise de l’alimentation… D’autant que l’usage d’autres types de substances chimiques peut aussi peser dans la balance. Le chercheur rapporte que des travaux de recherche montrent que l’utilisation de produits comme le zinc ou le formol peuvent favoriser une cosélection de souches bactériennes résistantes aux antibiotiques. « C’est le cas chez le Staphylocoque doré par exemple. »
L’antibiorésistance, problématique planétaire
Personne n’échappe à l’antibiorésistance. Jean-Yves Madec livre quelques exemples. En 2007, le chercheur suédois Larsson a mesuré 31 mg/L de fluoroquinolone dans la rivière où terminaient les effluents des entreprises pharmaceutiques installées dans le village indien de Pantacheru. « Quand une dose de 0,5 à 3,7 mg/L suffit pour soigner quelqu’un… », précise le spécialiste. Aux Pays-Bas, une petite fille entrée à l’hôpital pour une chirurgie cardiaque était porteuse d’un Staphylocoque doré résistant. « L’étude publiée en 2006 a montré que, dans sa famille, tous les porteurs de cette bactérie résistante avaient un lien, au départ, avec un cochon qui était porteur sain. »
Plus récemment, le scientifique a accompagné les travaux de Lidya Yaici en Algérie. La chercheuse a réalisé des analyses (eau, salade, couteau…) dans les kebabs de la ville de Béjaïa : « Elle a mis en évidence des bactéries résistantes dans 20 % des sandwicheries. Ce travail a aussi montré que le type de résistance n’était pas le même d’un quartier à l’autre. » Un autre pan de son travail a identifié la présence dans le lait d’une ferme algérienne d’Escherichia coli résistants aux carbapénèmes, « des antibiotiques de dernière génération qui sont gardés sous clé dans les hôpitaux en France… » Plus près de chez nous, différentes études ont détecté tour à tour des bactéries résistantes aux céphalosporines – « antibiotique présent dans des médicaments vétérinaires sans délai d’attente qu’il ne faut pas utiliser à la légère » – sur des poulets, des oiseaux sauvages, des mouches ainsi que dans des sols en Bourgogne…
Vers la fin des antibiotiques ?
Peut-on imaginer la fin des antibiotiques ? « L’OMS en parle depuis longtemps puisqu’en 2014, son sous-directeur Dr Keiji Fukuda, expliquait déjà que nous nous acheminions vers une ère post-antibiotiques où des infections courantes et des blessures mineures qui ont été soignées depuis des décennies pourraient à nouveau tuer. » En 2050, les prospectives évaluent le nombre de morts liés à l’antibiorésistance à 10 millions de personnes par an. « Soit plus que le VIH ou le paludisme aujourd’hui » et potentiellement plus que le cancer demain.
Toma Dagorn
Le formol, un produit à risque
Opinion – Jean-Yves Madec – Spécialiste Antibiorésistance à l’Anses
Globalement, il est possible de travailler avec des molécules dangereuses à condition de le savoir, de connaître les risques associés et de se protéger. Mais attention, par exemple, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé en 2004 le formaldéhyde en tant que substance cancérogène avérée pour l’homme pour les cancers du nasopharynx par inhalation. Ainsi, en utilisant du formol en élevage, vous entretenez votre cancer du nasopharynx. C’est un produit qui présente des risques pour vous, vos salariés, vos animaux et l’environnement.