Vins d’ici et au-delà

Face aux épisodes récurrents de sécheresse engendrés par le réchauffement climatique en cours, des viticulteurs du sud de la France sont contraints d’arracher leurs vignes. En Bretagne, à l’inverse, de nouveaux domaines se créent. Rencontre avec un pionnier, Julien Lefèvre, vigneron costarmoricain.

Le vigneron Julien Lefèvre au cœur de son vignoble, à Merléac, dans les Côtes-d'Armor. - Illustration Vins d’ici et au-delà
Un coteau exposé au sud, en plein Kreiz Breizh, à 250 mètres d’altitude. C’est ici, à Merléac (22) que Julien Lefèvre a choisi de créer Terre d’ardoise, son domaine viticole qui s’étend sur 3,5 hectares.

Au détour d’un virage de la route départementale 76 qui serpente à travers la campagne costarmoricaine, apparaît une parcelle aux lignes géométriques. Sur ce coteau exposé plein sud, la rosée matinale fait scintiller les couleurs dans la lumière rasante du soleil hivernal. Un paysage bucolique où le bleu électrique des gaines protégeant les ceps de vigne répond à l’azur du ciel. C’est ici, à Merléac, en plein Kreiz Breizh, à 250 mètres d’altitude, que Julien Lefèvre a choisi de créer Terre d’ardoise, son domaine viticole qui s’étend sur 3,5 hectares.

La vigne, c’est le temps long. Elle commence à parler vers 10-15 ans et s’exprime vraiment à partir de 30 ans.

Après avoir travaillé une dizaine d’années comme consultant informatique, ce trentenaire originaire des Côtes-d’Armor en a eu ras-le- bol. « Le travail au bureau, le management d’une équipe, ce n’était pas ma passion. J’ai la fibre entrepreneuriale et j’ai toujours éprouvé une attirance pour le milieu agricole ». Alors, en 2016, lorsque l’Europe décide de libéraliser les droits de plantation des vignes, c’est le déclic ! « J’ai dit à ma femme : tout pousse en Bretagne. Pourquoi ne pas créer un domaine viticole ? » Une rencontre avec un spécialiste en reconversion professionnelle le confirme dans son projet. Mais pas question de se lancer à la légère, « viticulteur, ce n’est pas un métier qui s’improvise ».

Partir d’une feuille blanche

Installé à l’époque en Loire-Atlantique, Julien se rapproche de vignerons nantais. « J’ai beaucoup échangé avec eux. Ils m’ont donné plein de conseils et parlé d’une formation pour adultes dispensée par la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire ». Le voici qui entame, en novembre 2019, un BPREA viticulture et œnologie. Un cursus très complet, alliant la connaissance des cépages et des maladies, la taille de la vigne, l’élaboration et l’élevage des vins…

Fin 2020, à l’issue de sa formation, une opportunité se présente. « Mon beau-père, qui était agriculteur à Merléac, partait en retraite et cédait son exploitation. Lors d’une discussion, il a évoqué une parcelle orientée au sud, avec une terre peu profonde. Je suis venu voir et j’ai découvert que la roche-mère était composée d’ardoises, comme en Anjou ». La perspective de partir d’une feuille blanche séduit le néo-vigneron. Il rachète 10 hectares de terres, plante, en deux vagues, quelque 15 500 pieds de vigne (2 hectares de Chenin et de Pinot noir, 1,5 hectare de Gewurztraminer et de Pinot meunier) et entame sa conversion à l’agriculture biologique. Réalisée en 2023, la première récolte donne naissance à 2 200 bouteilles. Un stock écoulé en quelques semaines, ce qui confirme la demande pour un vin biologique, produit localement, en Bretagne. L’année 2024, avec sa météo complexe, s’est, elle, révélée plus difficile. « La production de vin blanc a reculé de 40 %. Mais la récolte de pommes à cidre a été bonne », positive Julien Lefèvre qui possède également un verger de 250 pommiers.

Construire dans la durée

Aujourd’hui, le domaine Terre d’ardoise propose un rosé baptisé « Laisse les dire », un Chenin blanc sobrement dénommé « Lin », ainsi que le cidre « À pieds joints ». Demain, cette gamme pourrait s’étoffer de nouvelles cuvées plus complexes que ce vigneron passionné se plaît déjà à imaginer. « La vigne, c’est le temps long. Elle commence à parler vers 10-15 ans et s’exprime vraiment à partir de 30 ans. Je me projette dans la durée. J’ai envie de construire quelque chose ici ». D’ici 5 ou 6 ans, Julien espère atteindre son rythme de croisière avec une production annuelle de 8 000 à 10 000 bouteilles.

En attendant, il continue à travailler. Au printemps, la cave de dégustation et le magasin aménagés sur l’exploitation seront terminés. « L’idée est de faire venir les clients sur le domaine, que je puisse raconter l’histoire de mes vins, les mettre en scène ». La première récolte a déjà permis de bien positionner le produit, de ne pas le banaliser. Après l’avoir dégusté, plusieurs tables étoilées de la région ont même choisi de le mettre à leur carte. Un signe qui ne trompe pas. In vino veritas…

Jean-Yves Nicolas

Une filière en construction

Opinion – Thomas Lacote – responsable du marché de l’agriculture au Crédit Mutuel de Bretagne

La nouvelle génération de vignerons qui s’installe en Bretagne est composée de personnes convaincues, cohérentes dans leur démarche, avec une approche spécifique. C’est une filière en construction, mais en laquelle le CMB croit : il existe une niche pour des vins bretons avec une vraie identité territoriale.

Comme pour tout dossier agricole, ce qui conditionne notre accompagnement est la bonne adéquation entre le projet et la personne qui le porte. Et nous avons, en outre, la chance de pouvoir nous appuyer sur nos collègues du Crédit Mutuel du Sud-Ouest qui possèdent une véritable expertise sur ce marché.

Un projet d’IGP

Née en 2021, l’association des vignerons bretons (AVB) que co-président le costarmoricain Julien Lefèvre et le morbihannais Loïc Fourure, fédère 43 domaines et prône une viticulture fondée sur l’agriculture biologique et locale. Soutenue par l’AVB, l’association pour la valorisation des vins de Bretagne (AVVB) a, elle, vu le jour en 2024 avec pour objectif d’aider à la reconnaissance de la filière. En décembre dernier, les deux entités ont annoncé qu’elles lançaient, avec le concours de la Région Bretagne, un projet d’indication géographique protégée (IGP) bio des vins de Bretagne. La route est encore longue mais le mouvement vers un signe de reconnaissance de qualité est désormais amorcé.


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