À regarder les courbes du prix du blé sur 30 ans, certains y verraient un lac tranquille. Les cycles agricoles sont lents, les marchés interconnectés, la demande stable. Mieux : les silos permettent de lisser les à-coups, d’amortir les mauvaises années. Voilà donc un marché qui, à première vue, semble respirer la stabilité. Presque rassurant. Presque.
Mais l’eau du lac peut cacher des remous. Depuis 2007, des pics viennent troubler la ligne : crises alimentaires, climatiques ou géopolitiques, à l’image de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les céréales dites « soft commodities » – blé, maïs, orge – se retrouvent alors prises dans la tempête. Parce qu’elles sont stockables, transportables, et parce que la planète en dépend pour se nourrir, elles deviennent des armes, des leviers, des enjeux de pouvoir.
L’ouverture de la mer Noire reste un enjeu majeur
Le paradoxe est là : un marché fondé sur la régularité biologique peut s’enflammer sous l’impulsion de la géopolitique. Les céréales, symboles de la stabilité agricole, sont aussi les premières à réagir quand un conflit éclate, quand un port ferme, quand une rumeur enfle sur les marchés à terme.
C’est pour cela que l’ouverture de la mer Noire au trafic commercial reste un enjeu majeur, même si l’attention médiatique s’est quelque peu détournée du sujet depuis un an. Car c’est par là que transitent une bonne partie des exportations ukrainiennes et russes, notamment vers les pays du Sud. Oublier ce couloir maritime, c’est oublier à quel point la paix est encore un ingrédient de base de notre pain quotidien.
Derrière le calme apparent, les grains de blé restent sensibles au moindre frémissement de l’ordre mondial. Il ne suffit donc pas de bons rendements pour garantir la sécurité alimentaire : il faut aussi – et surtout – veiller à la stabilité des relations internationales.
