Concarneau (29)
C’est en 1996 que la souche hautement pathogène (H5N1), du virus de l’influenza aviaire, a défrayé la chronique, en raison d’importants foyers en Asie chez les oiseaux d’élevage et sauvages, et de son potentiel zoonotique. « Le virus a ensuite suivi les routes commerciales des volailles et les voies migratoires des oiseaux sauvages », indique Antoine Chabrolle, animateur du réseau national des oiseaux marins, basé à la station de biologie marine de Concarneau.
Vingt ans d’efforts de conservation anéantis
« Les oiseaux représentaient alors une source faiblement pathogène. Les formes les plus virulentes provenaient des élevages intensifs, sans doute parce qu’on a sélectionné des souches de volailles moins résistantes. Il y a probablement eu un manque de rigueur, de vigilance au niveau sanitaire, à l’échelle mondiale ». Sur la faune sauvage, pendant une vingtaine d’années, le virus reste cantonné aux migrateurs, en période hivernale, avec de petits foyers de contamination sur des oies, des cygnes, des canards.
Années sombres dans les colonies
En 2021 et surtout en 2022, le virus touche de nouvelles espèces : grues cendrées en Israël, bernaches en Écosse, pélicans en Grèce… « de gros foyers d’infection, avec beaucoup de pertes ». Plus près de chez nous, les fous de Bassan paient un lourd tribut, comme les grands labbes et les sternes Caugeck. « Jusque-là, la propagation se faisait essentiellement en fin d’hiver ; le virus perdant de sa résistance aux beaux jours. Au mois de mars-avril de cette année 2022, un élevage du Morbihan a été touché, au moment où les oiseaux remontent vers le nord. En mai, une épidémie s’est déclenchée dans le nord de la France, à un niveau jamais atteint. Des colonies de sternes Caugeck ont été décimées de moitié ; les sternes Pierregarin du quart ; les goélands également ». Le bilan estival est sévère : « Le littoral d’Europe de l’Ouest est particulièrement impacté, en période post-nidification. De nombreux oiseaux sont ramassés sur les plages en Bretagne ». Impossible de compter ceux ayant péri en mer, épuisés par la maladie. « Les pêcheurs nous ont signalé des tapis d’oiseaux morts au large ».
Une forme de résistance chez les adultes?
Après le mois d’octobre, la contamination ralentit. « Un premier cas, sur flamant rose, a été signalé en Méditerranée. Les conditions climatiques étaient favorables à la survie du virus, températures adéquates et faible ensoleillement (peu d’ultra-violets) ». En 2023, une nouvelle vague de contamination atteint la Bretagne, avec le retour des oiseaux d’Afrique. « Ce sont surtout les poussins qui ont été affectés ». On ramasse des sacs de petites sternes aux Glénans. « Il semble que les adultes qui ont survécu ont développé une forme de résistance ». L’année suivante, quelques cas sont signalés dans la région et au Royaume-Uni, très localisés, et cette année 2025, aucun cas n’a été détecté.
Le poussin ne survit pas à la mort d’un parent
En seulement deux ans, le bilan est lourd. « 6 600 oiseaux marins ont été retrouvés morts, mais il y en a bien sûr beaucoup plus ». Aux Sept Îles, dans les Côtes-d’Armor, le premier fou de Bassan atteint a été filmé en juillet 2022. Près de 80 % des adultes reproducteurs sont morts les deux mois suivants. Les poussins n’ont pas survécu à la mort d’au moins un des deux parents. Depuis, la colonie reprend un peu de vigueur, mais, « nous avons perdu vingt ans d’efforts de sauvegarde de l’espèce ».
Le fou de Bassan a le regard noir
À la grippe, s’ajoutent de nombreux autres facteurs de mortalité des oiseaux marins : prédation des œufs par les rats ou les corneilles, raréfaction de la ressource alimentaire… Quelques raisons d’espérer néanmoins, parfois surprenantes : « Le suivi épidémiologique montre que le virus ne survit pas dans le nid, d’une saison à l’autre. 15 à 20 % des fous et même des goélands ont désormais les yeux noirs (bleus clairs à l’origine), sans altération de la vue. Ces oiseaux ont développé une résistance au H5N1 et on retrouve des anticorps chez leurs poussins ». L’avenir dira si la modification de la couleur de l’iris est un indicateur de l’adaptation de ces oiseaux à la maladie. Les scientifiques poursuivent leurs études.
Bernard Laurent



La surveillance au carrefour des enjeux
Le réseau Sagir est le principal réseau de surveillance évènementielle qui a pour objectifs, depuis plus de 35 ans, de détecter précocement et surveiller les maladies de la faune sauvage sur l’ensemble du territoire français. Il repose sur la collaboration entre l’Office français de la biodiversité, les fédérations de chasseurs et les laboratoires vétérinaires départementaux. La surveillance du réseau Sagir s’appuie sur une démarche diagnostique et repose sur la détection et la prise en charge de signaux anormaux de mortalité ou morbidité. Il est donc en capacité de détecter des maladies relevant de différents enjeux (santé publique).