L’agriculteur est-il irrémédiablement appelé à s’effacer devant la technologie ? À devenir un simple exécutant face à des outils qui pensent et agissent à sa place. L’intelligence artificielle, en s’invitant dans les champs et les élevages, prétend apprendre de l’expérience humaine. Mais à force d’automatiser les gestes, elle finit par déléguer au robot ce qui fait l’essence même du métier : le discernement, le lien sensible au vivant, l’ajustement permanent. Avec l’agriculture dite de précision, un processus d’éloignement s’est déjà amorcé. Derrière ses promesses d’efficacité, elle induit une perte d’autodétermination. L’usager devient dépendant de prescriptions numériques, de cartes de rendement, de recommandations automatisées. Il agit, mais ne décide plus. Il exécute. Une forme de dépossession cognitive et décisionnelle s’installe. La prochaine marche sera-t-elle une agriculture sans agriculteurs au sens littéral ? Le scénario semble absurde. Il est pourtant en marche. Avec lui le risque de voir disparaître un corpus de savoirs empiriques transmis depuis des générations. Le geste juste, le regard aiguisé, l’intuition forgée par les saisons : tout ce qui fonde une culture du métier, une connaissance fine du vivant, menace de se dissoudre dans l’algorithme. Face à cette déculturation rampante, certains tiennent bon. Les partisans d’une agronomie exigeante, d’une agroécologie véritable, les intuitifs de la génétique animale, etc. en font partie. Sans rejeter la science, ils se l’approprient par l’expérimentation continue. Là où les technologies imposent, ces agriculteurs hybrident les savoirs. De par leur connaissance du vivant, ils restent acteurs. Conclusion : pour être libre, encore faut-il pouvoir et vouloir penser. C’est tout l’enjeu aujourd’hui : éviter que la machine ne déprogramme l’agriculteur….
Rester libre
